Archives mensuelles : mai 2020

IMGL0061

PERRINE CARLIER, UNE CAVALIERE RARE

PERRINE2

Perrine Carlier, une jeune cavalière de dressage performant à haut niveau, ne fait rien comme tout le monde. Installée dans un paradis équestre près de Pont l’Evêque, elle construit sa pratique équestre autour de l’écoute et du bien-être du cheval. Une rencontre très positive…

UNE JEUNE FILLE PASSIONNEE

PERRINE8

Mon père a été un passionné de trotteurs, il faisait un peu d’élevage et je le suivais partout. Il m’a communiqué cette passion qui ne m’a pas quittée depuis. J’ai vraiment commencé à monter à 12 ans et j’ai eu la chance de tomber sur une super monitrice qui m’a appris le respect du cheval. Mais je ne pensais pas en faire mon métier. Je voulais devenir vétérinaire, aider et soigner les animaux. Suite à une prépa à Paris, j’ai abandonné cette voie et je me suis engagée dans la pratique équestre. Le travail pour le compte d’un cavalier de CSO m’a bien plu et je suis allée par la suite me perfectionner en dressage. Discipline que je n’ai alors plus quittée !

Ma façon de travailler a séduit quelques propriétaires qui m’ont confié leurs chevaux et j’ai créé mon écurie de compétition en 2006 au Touquet. Depuis, j’ai eu la chance de suivre l’enseignement de grands cavaliers de dressage comme Monica Théodorescu, Dominique Flamant, Jan Bemelmans,  Françoise Kloninger ou Jan Nivelle. Je suis classée 15ème du classement national permanent des cavaliers Pro Elite.

L’AVENTURE NORMANDE

PERRINE7

 

Je suis arrivée dans la région en 2010 en suivant Vincent Mairesse qui est venu s’installer à Deauville Saint Gatien. C’est vraiment une région de cheval où on retrouve les plus grands professionnels, ce qui est très stimulant et très pratique aussi… A la même période, j’ai rencontré des propriétaires qui sont devenus des amis et qui ont voulu m’aider à m’installer. Notre projet au départ était modeste, je cherchais 1 ha de terrain pour pouvoir y installer une écurie. Mais c’était très difficile à trouver, dès qu’il y avait un peu de terrain, il y avait aussi une maison qui coûtait une fortune. Finalement, à la place d’un seul hectare, on m’a proposé 15 ha de terres agricoles ! Mes super associés ont été séduits et ont décidé de l’acheter. Et nous nous sommes lancés dans la conception et la préparation du projet. J’ai conçu les plans en m’inspirant du modèle allemand où le côté pratique est toujours prédominant. Le manège est grand et lumineux, les écuries se trouvent dans le même bâtiment, ainsi que les selleries, les salles de soins et même le bureau. Ce système permet en hiver d’évoluer sans s’exposer aux intempéries ! A l‘extérieur, on a une grande carrière de dressage, les paddocks d’été et d’hiver et une piste qui permet de faire le tour de la propriété sans la quitter ! Je me rends compte que je suis dans une situation privilégiée qui profite aussi bien à mes chevaux qu’à mes propriétaires.

ABSENCE DE PRESSION COMMERCIALE : UN VRAI LUXE

46373428_10213153720303900_8763013635065774080_o

Mes associés sont des gens généreux qui ont voulu construire un projet pour pouvoir évoluer ensemble sans pression commerciale. C’est une chance énorme pour une cavalière comme moi et c’est une chance que je cultive. Je travaille avec des propriétaires passionnés qui veulent progresser avec leur cheval ou bien j’ai des chevaux confiés pour la valorisation à long terme, dans le but de performance sportive et non pas de prestation commerciale rapide, notamment pour les jeunes chevaux de 4, 5, 6 ans qui viennent ici en formation.  J’accepte aussi des chevaux en dépôt vente, et dans ce cas, je cherche vraiment à bien assortir le cheval et le futur cavalier.

67379570_2642578155754636_6050541758129897472_n

IL FAUT ARRETER D’AVOIR PEUR !

PERRINE6

J’essaie de rendre mes chevaux heureux. Le confinement m’a d’ailleurs inspiré une petite « révolution ». Avec mon maréchal, nous avons eu l’idée de les déferrer, et ainsi, j’ai pu envisager de les mettre au paddock par deux, leur permettant de retrouver un peu de vie sociale, tellement importante pour leur bien-être. J’ai demandé l’accord des propriétaires qui étaient tous partants pour cette nouvelle expérience. Pourtant pas évident pour un cheval ferré depuis des années de se retrouver pieds nus et cela prend du temps pour qu’ils retrouvent un nouvel équilibre. Il y a aussi le risque de blessures. On a donc surveillé les nouveaux « couples ». Il y avait ceux qui se sont acceptés après les premières présentations d’usage et les autres qui ne s’aimaient pas du tout : il a fallu gérer rapidement les affinités. On a bien réussi, sans problème majeur, alors que ces chevaux vivaient seuls depuis des années ! Il y a eu quelques blessures superficielles et ce n’était pas bien grave par rapport au bénéfice. Le cheval est fait pour aller dehors, pour marcher, pour vivre à plusieurs. Avec le système sportif, on a un peu dénaturé et surprotégé les chevaux, moi la première. En les mettant dans des boxes ou paddocks isolés, on les empêche d’avoir des relations sociales entre eux qui sont essentielles à leur équilibre et épanouissement. Ce sont mes peurs qui me gouvernaient à ce moment-là et j’ai décidé de revenir à des pratiques plus simples et naturelles pour eux sans oublier l’objectif sportif. Je suis persuadée que le sport de haut niveau peut se pratiquer avec des chevaux déferrés qui vont ensemble au paddock. De plus en plus d’écuries s’y sont mises en France et cela existe depuis un moment à l’étranger. Je suis persuadée que le bien-être du cheval est bénéfique pour le sport.

JE PROGRESSE EN FONCTION DU CHEVAL

PERRINE4

Gracieux Vh Lindenhof, mon cheval de tête, est arrivé ici à 6 ans avec sa propriétaire qui l’a acheté pour elle, pour se faire plaisir. Mais il s’est révélé un peu compliqué, pas facile à monter, ombrageux et il lui arrivait toujours des problèmes. On a fini par se dire que ce n’est pas possible qu’un cheval aussi gentil à pied ait des réactions aussi démesurées sous la selle. Nous avons donc cherché la gêne possible et cette recherche a pris du temps pour connaître les personnes capables de trouver l’origine du problème. On a soigné son estomac, ses pieds et on a gagné sa confiance. Et plus il s’améliorait physiquement, plus il progressait au travail en démontrant de vraies capacités que je ne soupçonnais pas au départ – pour arriver au niveau du GP à 10 ans.

J’estime qu’il faut vraiment savoir écouter les jeunes chevaux et progresser en fonction de leur capacité physique. Il y a des moments dans leur croissance où ils sont mal dans leur corps et nous, si on a un concours ou une échéance à respecter absolument, on va solliciter les muscles et les articulations et les faire travailler dans la douleur. Cela aura, forcément, des répercussions au niveau physique ou psychique dans le temps. Adapter cette biomécanique si subtile à un circuit est un vrai challenge. Je l’ai compris en faisant moi-même des erreurs. Désormais, je pars de la base cheval, non de la base circuit et je m’entoure des gens qui pensent comme moi pour amener dans les meilleures conditions les chevaux vers leur objectif.

PARLE A SON INTELLIGENCE…

PERRINE5

Un grand moment avec Gracieux, je l’ai vécu pendant le stage avec Jan Nivelle. On était au niveau St Georges et on voulait avancer vers le Pro 1. Il m’a dit : « Ton cheval est hyper intelligent, parle à son intelligence. » Du coup, plutôt que de répéter, répéter et mécaniser, je lui suggérais…. Il réussissait deux pas de piaffer, je le félicitais comme s’il avait gagné la coupe du monde ! Il voulait alors refaire les choses parce que cela me faisait tellement plaisir ! Et on a progressé comme ça, en confiance. Je me suis retrouvée avec un cheval complice qui forme une équipe avec moi ! Je ne dois pas le porter, on est en interaction ensemble : si je cafouille, il rattrape et si c’est lui qui se trompe, je suis là pour l’aider. Ce sont des sensations incroyables, les sensations d’un vrai couple ! Il m’a aussi révélé – à travers la technique de la communication animale – mon manque d’assurance en concours. Le cheval l’a ressenti et m’a forcée à prendre confiance et à moins craindre le jugement extérieur. « Les chevaux sont des révélateurs de l’âme » a dit quelqu’un un jour…

LE DRESSAGE, POUR UNE EVOLUTION DANS LE SENS DU CHEVAL

65211104_2594098337269285_921561348767219712_n

Le dressage manque un peu de popularité en France. Il est souvent associé à quelque chose de laborieux autant pour le cheval que pour le cavalier. Alors que l’objectif de cette discipline est tout le contraire.

Je sais bien que le dressage n’a pas toujours une bonne image. Il faut bien admettre des abus mais je veux croire à l’évolution positive de cette belle discipline. Il y a des signes positifs : la réglementation de serrage de la muserolle, la bride non obligatoire pour les épreuves préparatoires pour les GP (toujours obligatoire dans les GP, hélas). L’exemple des Anglais, Charlotte Dujardin, Carl Hester  qui nous proposent une belle équitation, nous ont fait beaucoup de bien! On peut vraiment travailler cette discipline dans le respect du cheval, j’essaie de le démontrer en apportant ma petite graine à cette évolution positive. Le cheval, qui est stressé sous la selle au cours du travail à la maison, sera d’autant plus stressé en concours. En revanche, celui qui fait confiance à son cavalier, va stresser au début, mais le lien de confiance qu’il a avec son cavalier va l’aider à gérer son stress.  Mais gagner la confiance de son cheval n’est pas si simple ! Il faudrait commencer dès le niveau amateur, en partant du cheval et non pas de l’exercice que l’on veut obtenir ! Si l’exercice est difficile à réaliser alors qu’on a l’impression de le demander correctement, il faut essayer de comprendre pourquoi l’animal ne peut pas y répondre. Si on l’y oblige par la force, on va travailler dans la douleur et détruire la confiance. C’est très triste car les chevaux sont tellement généreux, toujours prêts à donner et à pardonner nos erreurs. On use et on abuse de leur générosité.

Il faut aussi admettre que tous les chevaux ne peuvent pas toujours répondre à nos attentes. En dressage, on regarde les allures magnifiques des chevaux, mais parfois ils ne sont pas capables d’apprendre les exercices d’une certaine complexité. Si quelqu’un m’avait dit au début que Gracieux deviendrait mon cheval de tête, je ne l’aurais pas cru, alors que le cheval, en qui je croyais très fort, est devenu aujourd’hui un super cheval d’instruction qui fait plaisir à tous les cavaliers à qui je le confie. Beaucoup de chevaux se déclenchent à 7 ans. Une chose est sûre, quand on veut forcer les choses, souvent ça casse !

SOYONS FOUS, SOYONS HEUREUX….

IMGL0061

Mon objectif d’avenir est de faire du haut niveau, d’enseigner et de montrer que l’on peut faire du beau dressage ! Ce que je préfère, ce sont des leçons qui se terminent avec un cavalier et un cheval satisfaits tous les deux… Le couple fonctionne bien quand les deux vont bien, donc il est important que le cavalier fasse également attention à sa santé et à son corps. Tout dysfonctionnement humain se répercute souvent immédiatement sur la monture.

Depuis quelques années déjà, je travaille avec des professionnels de la communication animale. C’est vraiment génial pour quelqu’un qui cherche à comprendre l’animal et à calmer ses angoisses. Par exemple, pour le confinement, on a expliqué aux chevaux que les propriétaires ne pouvaient pas venir mais ne les abandonnaient pas. C’était important, car leurs relations sont souvent très fortes et une séparation forcée crée des tensions pour tous les deux. Une autre fois, j’ai eu un problème avec mon entier qui s’arrêtait et restait bloqué pendant la séance sans raison apparente. J’ai appelé la communicatrice qui m’a dit qu’il s’était fait mal au paddock la veille. J’ai évité ainsi une séance stressante et douloureuse et un conflit qui aurait pu détruire une relation de confiance. On pourra dire que je suis un peu « illuminée » mais ça ne me dérange pas. Je préfère être illuminée avec les chevaux heureux que raisonnable avec les chevaux malheureux.

 

Julie en action équestre...

JULIE ULRICH UNE AMERICAINE EN NORMANDIE

94884342_1105842083147646_3797604237672710144_n

Son savoir équestre pourrait obtenir le label « patrimoine immatériel » de l’Unesco. Sa gentillesse et sa bienveillance égalent son sens d’humour. JULIE ULRICH a choisi la Normandie pour y vivre et transmettre sa connaissance de l’art équestre. Elle nous offre un beau voyage à travers sa vie et ses expériences.

J’ETAIS AMOUREUSE DES CHIENS ET DES CHEVAUX

Je ne suis pas née dans les chevaux… Mon père était chimiste, a fait plusieurs découvertes, ma mère était femme au foyer, j’ai eu une enfance agréable et protégée. J’adorais les animaux, surtout les chiens et les chevaux. Je me baladais à travers la campagne et je caressais tous les chevaux que je rencontrais. Et un jour, j‘avais alors 11 ans, je me suis fait mordre par un shetland. C’était une belle morsure et le propriétaire du shetland, un marchand de chevaux, a été catastrophé. Il m’a dit : « Jeune fille, si tu ne dis pas à ton père que c’est mon poney qui t’a mordue, je vais t’apprendre comment monter sur un poney ». J’ai dit YES, très bonne idée, et tout a commencé ainsi. Je montais le poney tous les jours, puis je me suis retrouvée à monter les chevaux et le marchand a fini par vendre les chevaux qui ont été montés et valorisés par une jeune fille – moi !

J’aimais tellement les chevaux que je voulais me perfectionner, gagner en finesse, je lisais tout ce que j’ai pu trouver sur les méthodes : américaine, française, allemande. Je vivais et pensais chevaux, je montais, je sortais en concours un peu partout, j’étais comblée. J’ai commencé l’université très tôt à 16 ans et je l’ai quitté à 17 ans pour me marier avec un marchand de chevaux. Une décision qui m’a valu bien des ennuis car mon père a été très fâché et ne m’a pas parlé pendant 5 ans ! Il m’a aussi coupé tous les vivres, j’ai dû apprendre la vie « ordinaire », c’était assez dur.

ECOLE ESPAGNOLE, LA REVELATION

Karl Mikolka, le Maître de Vienne

Karl Mikolka, le Maître de Vienne

Avec mon mari, on avait à l’époque une écurie avec 115 chevaux – les chevaux de commerce, mes chevaux de sport, les chevaux de propriétaires, les chevaux d’un petit centre équestre. Je montais alors 14 chevaux par jour, le premier à 4h du matin, le dernier à 15h, pour donner ensuite des cours aux enfants. Et les week-ends, je montais dans les GP de saut d’obstacles. On peut dire que j’avais des journées bien occupées pendant 30 ans !

Un jour, la fameuse Ecole d’équitation espagnole de Vienne (qui n’a rien à voir avec l’équitation espagnole et utilise la méthode allemande de Weyrother) dirigée alors par Alois Podhajsky, un grand écuyer et un grand dictateur, est venue en tournée aux USA avec leurs quatorze étalons lipizzans pour présenter un spectacle magnifique. Après la dernière représentation à Boston, où se trouvait notre écurie, j’ai décidé de les inviter chez nous. Ils ont accepté, ils étaient vénérés dans leur pays mais peu payés par leur gouvernement. Ils sont venus chez nous et ont été très impressionnés par notre confort matériel le grand manège, les camions etc. Mais pas par mon niveau d’équitation… Le soir de leur venue j’ai déroulé devant eux une reprise niveau St Georges avec mon meilleur cheval de Grand Prix. Après les premiers pas ils ont commencé à rigoler et quand j’ai terminé ma reprise ils étaient carrément pliés de rire. Je riais avec eux mais je ne savais pas trop pourquoi. Karl Mikolka, 3ème dans la hiérarchie à l’époque, a donc pris mon cheval et a déroulé une reprise St Georges tellement rapide que j’ai cru que c’était un barrage ! A la fin il m’a dit : « Votre cheval n’a pas le niveau mais il est bien obéissant et veut bien faire. Mais vous, Madame, vous ne connaissez rien ! » Je lui ai dit : Oui, pour cela je veux apprendre ! Il est resté 5 ans chez nous et ça a changé complètement ma vie équestre !

FORMATION D’UN CHEVAL DE CSO PASSE PAR LE DRESSAGE !

Julie en action équestre...

Julie en action équestre…

Une fois que j’ai acquis un assez bon niveau en dressage je pouvais former les chevaux de saut d’obstacles. Beaucoup de choses peuvent être améliorées par un bon dressage : mauvais geste devant, mauvais passage de dos, manque de force, manque de souplesse, tout cela peut être travaillé et amélioré. Avec les connaissances que j’ai reçues, j’ai été capable de former un cheval qui participe au GP de dressage et de saut d’obstacles également. Et qui fait cela avec envie, pas par crainte et domination. Quand je suis arrivée en Europe on était déjà conscient de ce lien si fort entre le dressage et l’obstacle. C’était ainsi en Allemagne, en Suède, aux Pays Bas, en Belgique, mais pas en France ! La France est un autre pays, où on ne doit pas utiliser le mot « dressage » et « obstacle » dans la même phrase !

WELCOME TO NORMANDIE !

Jack Le Goff et sa méthode

Jack Le Goff et sa méthode

J’avais une vie très confortable aux USA, bien installée en Virginie avec mes chevaux, mes clients et élèves et la possibilité de participer aux beaux concours, mais j’avais l’impression de stagner, de m’enfermer dans une routine. En plus, après mon divorce, je me suis sentie libre, je voulais progresser avec les maîtres en Europe et m’installer dans un pays dont j’ignorais la langue – la France ! Mon challenge était de savoir dans combien de temps j’allais retrouver le même niveau de confort qu’aux USA. J’étais confiante car je suis un bon pédagogue, je pouvais enseigner, je pouvais former des chevaux, je pensais donc que j’allais trouver ma place assez rapidement. Quelle erreur !  Tout d’abord personne ne voulait prendre de leçons. Pourquoi faire ? Et les éleveurs n’avaient pas d’argent pour me payer la formation de jeunes chevaux. En plus, personne ne comprenait mon français…

Je me suis dit ok, dans ce cas, je vais devenir marchand de chevaux. Je vais les acheter, former et revendre à mes clients et élèves aux USA. Très bonne idée, n’est-ce pas, car il y a de super chevaux en Normandie ! Je me suis donc rapprochée de Germain Levallois en lui demandant si son cheval, un très bon 4 ans, était à vendre. Il m’a répondu : « Il est là votre mari ? Non ? Et votre frère non plus ? Vous êtes seule ici et vous êtes marchand de chevaux ? Ah bon…. Alors non, le cheval n’est pas à vendre. » Simplement parce qu’il ne savait pas comment discuter le prix avec une femme ! C’était pareil pour Alexis Pignolet et Fernand Leredde, impossible de discuter. J’ai fini par communiquer avec des cavaliers, c’était beaucoup plus simple ! Ainsi j’ai pu acheter pas mal de chevaux, je les ai formés, montrés en concours et du coup on m’a confié les chevaux également. J’ai fini par me faire une place mais c’était beaucoup plus long que prévu et les premières six années ont été vraiment très dures. Mais j’y suis arrivée quand même alors que plusieurs amis, comme George Morris, pensaient que j’allais tenir trois ans et me précipiter pour rentrer !

ADIEU LA PISTE CHAMPETRE !

La piste de St Lo aujourd'hui...

La piste de St Lo aujourd’hui…

La Normandie a beaucoup changé depuis cette époque ! Quand je suis arrivée, en 94, le premier concours que je suis allée voir de côté de Bayeux, c’était un champ sur lequel un tracteur a déposé quelques obstacles, j’étais un peu choquée. Je me rappelle très bien qu’au début, quand Jean-Paul Lepetit construisait une ligne un peu plus technique, tous les cavaliers lui tombaient dessus. « Mais non, ce n’est pas possible, ouvre cette ligne Jean-Paul, c’est beaucoup trop difficile pour un jeune cheval ! » Mais Jean-Paul n’a jamais abandonné l’idée de construire les pistes qui forment les cavaliers et les Normands ont fini par être fiers de leur chef de piste. En effet, les parcours d’aujourd’hui ont la même finesse et difficulté technique en Normandie qu’ailleurs dans le monde. Jean-Paul et les autres ont ainsi contribué au changement d’équitation – dans la finesse, avec les chevaux parfaitement dressés à la maison. Car les chevaux ont évolué aussi, ils sont plus légers, plus rapides, plus sensibles et il faut les monter avec beaucoup de subtilité. Les éleveurs, comme mes amis Bernard Lecourtois ou Jean-Luc Dufour, ont fait un travail formidable dans le bon sens de l’évolution du sport, en acceptant l’apport du sang étranger. Ainsi, dans les compétitions locales en Normandie il y a des couples qui évoluent aussi bien que ceux qu’on admire en compétions internationales. Et les cavaliers de jeunes chevaux ne sont pas les mêmes qu’avant non plus. Ce n’est pas grâce à moi mais j’en profite. Car il y a beaucoup qui m’appellent et qui me demandent de les aider à travailler dans le bon sens. Avec le sport aussi technique il n’est plus possible de s’en sortir tout seul sans aide d’un bon coach. Autrefois, un cavalier avec un bon feeling et du talent pouvait tout gagner avec un seul cheval. Aujourd’hui c’est impossible, pour se maintenir au top il faut avoir au moins 5 ou 6 chevaux de top niveau. Il faut donc les former avec une bonne méthode !

LA TRANSMISSION C’EST VITAL !

Julie aime transmettre...

Julie aime transmettre…

Chaque cavalier avec du talent et une méthode de travail est capable de former plusieurs chevaux et plusieurs cavaliers qui, à leur tour, vont former d’autres cavaliers. Aux USA, dans les années 50, on a fait venir le Hongrois Bert de Némethy avec une mission d’entraîner l’équipe américaine composée de couples hétéroclites. Il a été catastrophé mais comme il avait un très fort caractère et une bonne méthode hongroise, il a formé George Morris, Katy Prudent, Chris Kappler qui, à leur tour, ont formé les autres. C’est comme une pyramide, on finit par construire un vrai système.

Dans les années 60 nous avons volé à la France Jack Le Goff, écuyer du Saumur, un représentant parfait de l’Ecole de l’équitation française, un cavalier olympique et coach de l’équipe française du concours complet, qui est venu former notre équipe nationale du CC. Jack aussi était un dictateur total, mais il a formé les cavaliers qui ont été très performants et médaillés internationaux et ces cavaliers ont formé les autres à leur tour. Aujourd’hui on refuse de subir cette tyrannie « à l’ancienne », on dit que c’est trop dur ! Mais moi j’ai eu la chance de suivre l’enseignement de plusieurs de ces « dictateurs » et je suis formée pour utiliser plusieurs méthodes : Française, Capprilli, Américaine, Weyrother. Merci mon grand âge ! Je peux ainsi décider quelle méthode utiliser en fonction du cheval et en fonction du cavalier aussi ! Après il faut rester flexible et s’adapter sans cesse au vivant !

OU SE FORMER EN FRANCE ?

Voilà la question. Il y a l’Ecole de Saumur, mais c’est très difficile d’y accéder et on y reste 3 ans, mais à part cela, rien. Quand j’avais mon écurie en Virginie, Henri Prudent me demandait souvent si je pouvais accueillir les jeunes stagiaires français. Ils venaient à la maison, montaient tous les jours plusieurs chevaux sous ma tutelle et partaient avec une méthode de travail. Quand je suis arrivée en France, c’était terminé, je n’avais plus les moyens ni les structures pour les de les accueillir. Et aussi à l’époque tout était moins cher, je pouvais prendre un élève qui faisait les boxes le matin et montait à cheval en prenant les cours l’après-midi. Je pouvais former ainsi plusieurs jeunes cavaliers   gratuitement. Mais aujourd’hui c’est impossible, l’élève doit avoir un cheval et même plusieurs chevaux pour progresser vraiment. Et il ne suffit pas de prendre une leçon d’une heure par semaine, pour progresser vraiment, il faut monter 4 heures par jour !

J’ai actuellement deux élèves formidables : Kevin Staut et Amy Graham. Ils sont vraiment avides du savoir, ils veulent connaître les moindres détails de ce que je peux transmettre. Je passe des heures et des heures avec eux pour redonner le savoir que j’ai reçu du monde équestre. De Reiner Klimke, de Jack Le Goff et des autres qui m’ont transmis leur savoir gratuitement, avec toute leur bienveillance. Je forme les disciples avant de prendre ma retraite, sinon quel sens donner à tout mon parcours et tout mon travail ?

EQUITATION EST UN SPORT INTELLECTUEL

Tout le monde pense que l’équitation est un sport physique mais non, c’est un sport intellectuel. Il faut COMPRENDRE ce qu’on demande au cheval, comprendre de quelle façon il réagit à la demande et comprendre de quelle façon on peut améliorer cette réaction. Il y a des cavaliers qui résistent, qui disent non, moi je monte à l’instinct et je ne peux pas monter les foulées et les compter en même temps. Cela demande des heures pour comprendre et pour apprendre, donc, c’est intellectuel.

Et pour cela on a besoin d’un regard extérieur, besoin d’un coach. Quand j’étais jeune je pensais moi aussi qu’il me suffit de lire les livres, pas la peine d’aller à l’université. Mais non, sans professeur je ne comprends rien, il faut toujours quelqu’un pour interpréter et c’est encore plus vrai quand il s’agit d’équitation.

LES CAVALIERS DE HAUT NIVEAU ONT LE DEVOIR DE TRANSMETTRE LEUR SAVOIR

Malheureusement, actuellement, en France, il est très difficile de trouver un coach d’un bon niveau. La fameuse Ecole française d’équitation n’est plus enseignée véritablement, les cavaliers de bon niveau ne forment pas, juste donnent des stages, ce qui n’est vraiment pas suffisant. Il faut une immersion totale avec un bon professeur pendant 1 an ! Ici la formation générale est assurée par les moniteurs qui ont été formés à leur tour par les moniteurs pas vraiment compétents. Ce n’est pas une bonne chose pour l’équitation du tout.

Aux USA c’est différent. Les élèves se forment dès leur jeune âge et apprennent à bien monter, pas aller au plus vite en faisant n’importe quoi sur leur poney. A l’époque, je donnais à mes jeunes élèves de 10, 11 ans la possibilité de monter mes chevaux de GP de dressage et d’obstacle. C’est très instructif ! On apprend par les chevaux déjà formés ce qu’on cherche à obtenir. Bien sûr, il faut tomber sur quelqu’un de généreux qui veut transmettre. Reiner Klimke, le champion olympique de dressage allemand en me voyant concentrée au bord de la piste, m’a proposée de monter Mehmed, son champion d’Europe. J’avais peur, mais il m’a rassurée en disant qu’un cheval bien formé va interpréter et comprendre ce que tu veux de lui. Il m’a dit : « Imagines toi que c’est ta grand-mère qui va monter après toi. Il faut que ton cheval comprenne ce qu’il faut faire et qu’il reste calme. Voilà le secret d’un bon dressage. » Et c’est ainsi que j’ai formé des dizaines de chevaux qui ont formé des cavaliers et des dizaines d’élèves qui à leur tour ont formé d’autres cavaliers et d’autres chevaux.  Et c’est ainsi qu’on construit l’avenir !

En France, il faudrait que les cavaliers de haut niveau prennent la responsabilité pour le futur de notre sport !!! On ne peut pas dire : Je suis en haut, je profite, je fais de beaux concours, je gagne les épreuves et je gagne l’argent et je laisse aux moniteurs le soin de former les jeunes. C’est complètement irresponsable ! A moment donné, quand on baisse le rythme des concours, il faut former les autres, redonner ce qu’on a reçu ! 

ET LES CHEVAUX ALORS ?

Quand je suis arrivée en France, j’avais l’impression qu’on perdait 50% de chevaux à cause d’une mauvaise exploitation. Aujourd’hui c’est beaucoup mieux, on se rend compte qu’on peut blesser le cheval physiquement, qu’on peut aller trop vite ou trop doucement, faire un mauvais choix de méthode, être trop ou pas assez exigeant, on peut faire beaucoup de bêtises. On a compris également que le cheval a mérité le respect – tout le monde est d’accord avec ça aujourd’hui.

Quant à haut niveau, il s’est fait dominer par le commerce. Au départ nous avions l’art équestre, ensuite sport et art et aujourd’hui nous avons commerce, sport et art. Je suis contente de travailler avec les deux cavaliers pour qui art et la manière de monter, de construire les parcours est aussi importante que l’envie de gagner. Il y a des cavaliers de haut niveau chez qui la priorité absolue c’est de gagner ! Moi j’adore gagner, je suis compétitrice mais pas au risque de perdre mes principes !

QUELLE VISION D’AVENIR ?

Je suis Américaine donc optimiste de nature ! Je pense que les choses évoluent dans le bon sens, qu’il faut continuer à expliquer, à enseigner, à donner l’exemple, à construire les bons parcours et avoir la foi en avenir ! En arrivant en France j’ai été frappée par cette manière de dire : c’est bien mais ce n’est pas possible ! J’ai toujours pensé que chacun né avec un talent qu’il faut découvrir et l’utiliser – qu’il s’agisse d’énergie, d’intelligence, d’endurance. Moi j’ai beaucoup d’énergie, une bonne capacité de concentration et je suis positive. Mon talent équestre n’est pas naturel, j’ai tout appris. J’ai fait beaucoup de lectures, j’ai suivi de bons professeurs, j’ai regardé de bons cavaliers et j’ai monté de bons chevaux. Et j’ai toujours accepté de me remettre en cause pour me perfectionner encore et encore. Chaque jour nous apporte une occasion d’apprendre quelque chose. Et c’est vraiment possible !