UNE HISTOIRE DE FAMILLE ….
Mes parents avaient un élevage à côté de Ste Cécile dans la Manche et mon père montait en concours… je côtoyais donc les chevaux depuis la naissance. J’adorais les courses de poneys dans la campagne en en plein champ, il fallait s’accrocher pour rester en selle! A 8 ans je suis arrivé ici, où nous sommes aujourd’hui, au Club de la Renarderie au Mesnil Clinchamps, et à 12 ans je suis allé me perfectionner chez Alain Hinard. Les chevaux m’occupaient tellement que j’ai arrêté l’école à 16 ans pour faire le CAP de tourneur-fraiseur. Tout simplement parce que cette école était proche de mes parents et que je pouvais monter tous les soirs.
Je dois beaucoup à mes parents qui menaient une vie modeste mais ils se sont toujours sacrifiés pour pouvoir me payer les cours à la Renarderie ou chez Alain Hinard. Ils ont refusé de vendre leurs bons chevaux et les ont gardés pour moi. Quenotte du Bois, par exemple, une top jument avec qui j’ai beaucoup gagné. C’est peut-être la chance ou le destin, mais j’ai toujours eu des chevaux compliqués mais de qualité. Hirondelle, une petite ponette, a été mon premier profeseur. Si je montais bien, je pouvais gagner même devant les chevaux, si je montais mal, elle s’arrêtait net et je volais. Quenotte du Bois étais aussi délicate et respectueuse, elle me donnait tout quand je la montais bien. Du coup, je n’affectionne pas un type de monture en particulier, j’ai appris à m’adapter à chaque cheval.
PAS DE CHEVAL « CLE EN MAIN »
J’ai toujours formé mes chevaux pour pouvoir évoluer ensuite à un bon niveau. Il y avait bien l’exception avec Valentin Palluer qui est arrivé avec quelques bons résultats en puissance, mais il était mal dans sa peau et rétif, et il m’a fallu une année pour construire une entente avec lui. Nous avons ensuite beaucoup gagné – y compris le GP NHS à Saint-Lô – avant qu’il ne soit vendu.
Mais jamais on m’a apporté un cheval clé en main. Comme j’avais cette réputation de monter les chevaux délicats j’en accueillait beaucoup. Et j’ai une certaine fierté car tous les chevaux qui ont gagné avec moi ont été fabriqués par moi !
J’AI BESOIN DE TRAVAILLER EN CONFIANCE…
A partir de 16 ans j’ai commencé à prendre les premiers chevaux en pension… M. Clouard, l’un de mes premiers propriétaires de l’époque – j’étais Champion de France 2ème catégorie avec Balalaika, une jument de son élevage – est d’ailleurs toujours avec moi. Et j’ai plusieurs autres éleveurs qui sont à mes côtés depuis des années. Avec Haras de Lacke nous sommes en partenariat depuis 15 ans. Au départ, ils avaient l’idée de lancer un haras pour les chevaux de dressage et c’est une amie commune qui a fait évoluer le projet en pensant à moi. Laurence et Karine sont restées fidèles alors que je suis loin de leur haras de Deauville et que les cavaliers les sollicitent constamment pour proposer leurs services. Une telle fidélité me touche profondément.
Je suis ainsi – j’ai besoin de travailler en confiance ! Si la confiance fait défaut, je préfère rendre le cheval, même s’il est bon. La confiance c’est primordial ! On fait un métier très dur, on se remet beaucoup en question mais on n’est pas des robots, ça peut nous arriver de faire une erreur. Si un propriétaire n’accepte pas cette évidence, je ne peux pas travailler pour lui. Quand je vois arriver un cheval de 10 ans qui a déjà eu 5 cavaliers sur le dos je préfère décliner la proposition, car je ne suis pas capable de me dire : allez, tu profites du cheval au maximum tant que ça dure… Je ne sais pas fonctionner ainsi.
Il y a quelques années je me suis cassé une jambe très méchamment et je suis resté 8 mois sans monter à cheval. J’avais très peur de tout perdre, peur de voir mes écuries se vider. Mais non, personne n’est parti. Je remercie encore Guillaume Batillat qui est venu travailler mes chevaux et qui n’a même pas essayé de récupérer quelques propriétaires en partant. Un garçon vraiment honnête.
JE VOULAIS TOUT ARRETER AU MOMENT DE LA RETRAITE DE FLIPPER
J’ai eu vraiment envie de tout arrêter au moment où Flipper partait à la retraite. J’ai traversé alors une période de turbulences: une séparation dans ma vie personnelle, les difficultés professionnelles et l’arrêt de la carrière de Flipper. Tout cela a été trop difficile à porter, je n’avais plus envie de me battre. J’ai rebondi grâce à mon partenariat avec le Haras de Lacke.
En effet, en 2009, je ne supportais plus la pression qui m’a accompagné tout au long de ma carrière avec Flipper.
L’histoire a commencé en 1997 quand Guy Bideault, le directeur du Haras National de Saint-Lô, m’a promis 2 étalons à confier. Finalement il a changé d’avis et m’a proposé un jeune entier de 4 ans que le Haras venait d’acheter aux ventes NASH. C’était Flipper d’Elle, il était simplement débourré, on a donc gravi tous les échelons ensemble. Pour arriver aux JEM, aux Championnats d’Europe, au classement du meilleur cavalier français pendant 2 années avec un seul cheval ! Il m’a fait vivre un rêve de gosse. J’ai voyagé dans de beaux pays, j’ai fait les plus beaux concours, les plus belles Coupes des nations, les JEM d’Aix-la Chapelle où j’ai été 6ème de l’épreuve Vitesse et le meilleur cavalier français. J’ai gagné le titre de Champion et deux fois de Vice-Champion de France. Mais je ne supportais plus la pression. Pendant 11 ans de notre route commune, je me demandais chaque année si j’allais garder mon cheval !
Au départ, Flipper devait rejoindre Julien Epaillard à l’âge de 6 ans. Heureusement pour moi le directeur suivant du Haras, M. Nantais, m’a assuré que j’allais le garder tant que j’avais des résultats… Mais un jour, avant le départ pour le Championnat de France en 2002, il m’appelle et m’annonce : « Je suis désolé, je ne peux plus rien faire, ils sont allés au ministère de l’Agriculture pour te l’enlever… à moins que tu fasses une performance à ce championnat ». J’ai gagné le Criterium du Championnat, mais je n’en garde pas un bon souvenir. Chaque année il y avait des cabales pour me l’enlever, c’était usant. Même au moment où Flipper arrêtait le sport, j’ai dû me battre pour le garder chez moi, pour lui offrir une retraite tant méritée car ils voulaient le confier à un jeune cavalier ! Je trouvais que, vraiment, mon cheval ne méritait pas ça !
FLIPPER M’A TOUT APPRIS !
Dans ma jeunesse je montais beaucoup de chevaux sensibles et délicats. Mais Flipper c’était encore autre chose ! Il avait un caractère, une volonté hors de commun. Il m’a appris comment il fallait le monter, comment gérer un cheval et le faire monter en puissance. Une grande école… Si j’insistais alors qu’il n’était pas d’accord avec ma façon de le monter, il me sortait de la carrière et il rentrait au boxe. Il a vraiment une personnalité exceptionnelle ce petit cheval de 1,60! Aujourd’hui il a 27 ans, bon moral, fait toujours la monte, mais revient l’hiver à la maison où il a ses habitudes, son paddock. Il y a 4 ans je le montais encore en balade mais il était tellement fougueux que j’ai été obligé d’arrêter. On a de plus en plus de mal de le garder en état et ça me rappelle qu’il vieillit. Le jour où il va partir ce sera très, très dur pour moi et ça va vraiment marquer la fin d’une époque…
FAIRE CORPS AVEC LE CHEVAL
Que ce soit un cheval capable de gagner 130 ou 160, j’adore quand il arrive en piste avec envie de se battre et de gagner ! C’est une sensation extraordinaire et les victoires à 130 ont pour moi autant de valeur que les victoires à 160, je respecte tous ces chevaux autant !
Ce qui est difficile, c’est de repartir toujours de l’avant, de résister aux coups durs, aux coups de sort. Quinette du Quesnoy par exemple, on y a cru très fort, je l’ai préparé, elle a commencé à bien se démarquer : 2ème dans le GP de Dinard, 2ème de la Coupe des Nations de Sopot, 2ème du GP 2* à Paris, 3ème du GP 4* de Rouen et puis, alors qu’elle a été parfaitement préparée et en condition, un coup de tendinite et tout s’arrête, c’était difficile à admettre et à vivre. Mais c’est comme ça, on travaille avec du vivant et parfois ça ne passe pas alors que tout semble parfaitement géré et parfois c’est le contraire, on tape toutes les barres et rien ne tombe….
JE CROIS QUE JE SUIS TROP ATTACHE A MES CHEVAUX ET LEUR DEPART ME FAIT SOUFFRIR…
Quantar des Etisses était un entier délicat, très doué, mais je ne savais jamais comment il allait se comporter… Je me rappelle, à Bethune, dans la qualificative pour le GP il a fait 3 ou 4 barres en pensant à autre chose et après il a gagné le petit GP ! Il a aussi super sauté à Paris, il a signé 2 victoires dans le concours 2* et il s’est classé 2ème derrière Steve Guerdat dans le 5*. On a eu une bonne offre et on l’a laissé partir aux USA. Là-bas ils l’ont castré et il gagne avec sa gentille cavalière – on suit leurs exploits avec plaisir!
J’aime bien que derrière chaque vente il y ait une belle rencontre, une belle histoire entre le cheval et son futur cavalier. Hélas, c’est devenu tellement difficile dans le monde d’aujourd’hui…
Le commerce est indispensable, il faut admettre que ça fait vivre tout le monde, mais je crois que je suis trop attaché à mes chevaux et leur départ me fait souffrir…
MON OBJECTIF N’EST PAS DE GAGNER LES CHAMPIONNATS DES 6 ANS MAIS PREPARER L’AVENIR !
J’adore préparer les chevaux pour leur donner la chance d’aller au plus haut niveau. Cette année j’ai quatre 6 ans qui ont un gros potentiel. J’ai déjà prévenu les propriétaires que je ne veux pas être champion des 6 ans à tout prix ! Ils vont faire les 6 ans, bien sûr (si la situation générale le permet), mais je ne vais pas leur demander de tout donner pour cet objectif. Comme avec Atome des Etisses (Mylord Carthago X Quidam de Revel) que j’ai récupéré à 5 ans. On me disait à l’époque : mais il est lent, il n’a pas de technique, pas de sang etc… mais il ne faut pas écouter les gens, il faut écouter son ressenti. La première fois que je suis monté sur Atome il n’y avait qu’une seule chose qui me faisait peur – il n’aimait pas la piste. Il était puissant et doué mais il s’excusait presque d’être là pendant le concours. A 6-7 ans je l’ai donc amené à Vilamoura au Portugal pendant un mois pour l’endurcir, je le prenais pour les remises des prix pour qu’il s’habitue au bruit, à la musique et puis, tout d’un coup, il a passé le cap.
Là je vais partir à Vejer de la Frontera en Espagne pour 3 semaines et du coup mes jeunes chevaux vont débuter plus tard. Si on est qualifié pour Fontainebleau, tant mieux, on va y aller pour leur donner l’expérience, mais mon but n’est pas être un champion des jeunes chevaux. J’ai actuellement quatre 6 ans, dont 2 étalons qui sont très bien. Express de Hus (Conrad X Quick Star) a été monté par son propriétaire l’année de 4 et 5 ans et il m’a proposé car le cheval a un vrai potentiel. Il m’a dit : « Je sais que tu ne veux pas être champion des 6 ans à tout prix et que tu vas bien préparer le cheval ». S’il est champion, tant mieux, mais mon but est de le préparer à sauter les plus beaux parcours. Il sera vendu car c’est cheval d’une très grosse qualité et il n’est pas sûr que je puisse le garder. Mais s’il fait de belles épreuves avec un bon cavalier, je serai content !
Le 2ème étalon, Elwood Blues (Ogrion des Champs) est aussi un phénomène. Après le premier saut j’ai eu une si bonne sensation que j’ai appelé le propriétaire en lui proposant une bonne offre d’achat. Et il m’a répondu : « Garde ton argent, c’est de toute façon toi qui vas le monter ». Il a fait les 4 et 5 ans et en 2 saisons il a fait une seule faute, il termine 7ème de la finale des 5 ans. Il est très doué, on verra où il pourra nous amener…
AVEC L’EXPERIENCE J’AI APPRIS LA PATIENCE
Je passe beaucoup de temps à travailler mes chevaux et avec l’expérience j’ai appris la patience. J’aime bien les travailler bas, rond, avec du rebond. J’attache aussi une grande importance à la préparation physique – mes chevaux vont au moins 30 minutes au marcheur avant le travail – et j’ai l’habitude de longues sorties à l’extérieur bien toniques.
Etant jeune j’étais fougueux et ambitieux et il m’arrivait d’être assez strict sur la piste. Comme ça me rendait malheureux, j’ai fini par apprendre la patience. Il faut être vraiment être à l’écoute de chaque cheval et ça finira par payer. Heureusement, sinon j’aurais baissé les bras depuis longtemps. Quand les gens te disent : « Franchement, si jamais tu gagnes avec celui-là… » et quand on y arrive, alors là, on a une certaine fierté.
Valkyrie Condéenne est aussi un bon exemple de cette démarche. A 4-5 ans elle a vraiment été très compliquée. Tellement que je voulais arrêter avec elle mais M. Herman, l’un de mes fidèles propriétaires, m’a demandé de continuer car il ne savait pas quoi faire d’une telle jument. Je me suis retroussé les manches, j’ai travaillé patiemment, et maintenant on a nos codes : on ne va pas seuls à l’extérieur, il faut toujours que ma groom l’accompagne vers la piste etc. Elle est généreuse et elle aime gagner, mais il faut savoir être ferme quand il le faut et aussi savoir beaucoup récompenser.
On dit que les juments sont très sensibles mais les étalons aussi. Atome et mes deux jeunes entiers sont comme ça. Mais cette sensibilité que j’ai avec mes chevaux, c’est grâce à Flipper, parce que je n’avais pas le choix. Il m’a bien fait comprendre que la méthode que j’utilisais avant lui il fallait l’oublier direct !
UNE GRANDE FIERTE DE FAIRE PARTIE DE LA LISTE JO
C’est une grande fierté, une vraie récompense pour mon équipe et pour les propriétaires de se retrouver sur la liste de 15 couples envisagés pour les JO !
Je tiens à dire que c’est grâce à Thierry Pommel et à Sophie Dubourg que je peux espérer faire partie de l’équipe nationale, même avec un seul cheval. Bien sûr, il faut avoir les résultats, mais si on les a, on peut faire partie de l’équipe. C’est comme à l’époque de Jean-Maurice Bonneau qui m’a donné ma chance avec Flipper. Pourtant je n’avais pas d’expérience à ce niveau, mon cheval était génial mais très spécial et tout le monde disait qu’il n’aura pas assez de force pour sauter de grosses épreuves. Il fallait donc y croire et il a cru en nous et n’a écouté personne. Après notre victoire dans le Criterium de Championnat de France, il nous a envoyé faire la Coupe de nations à Dublin. J’ai gagné la grosse épreuve et, on a gagné la Coupe! Je ne le remercierai jamais assez de sa confiance et je continue toujours de travailler avec lui.
J’espère qu’avec Atome on pourra suivre l’itinéraire de Flipper. Ce serait le rêve.