Archives mensuelles : septembre 2019

PORTRAIT

CHRISTOPHE GRANGIER : ON PEUT ETRE SERIEUX SANS SE PRENDRE AU SERIEUX…

Dans la vie il y a la vue qui compte...

Dans la vie il y a la vue qui compte…

Christophe Grangier, l’un des cavaliers les plus performants et les plus sympathiques sur les pistes de Normandie, a été l’un des héros de la Grande Semaine de Fontainebleau avec la victoire de Farzack des abbayes et la 2ème place de Dubaï de soie (tous 2 étalons) dans la finale de 6 ans. Il a pris il y a quelques mois un nouveau départ grâce à ses nouvelles installations à Saint-André d’Hébertot dans le Calvados, où la famille cultive le bonheur au quotidien. C’était un moment idéal pour le rencontrer…

LA GRANDE FINALE POUR LA 25ème FOIS

Einstein, un bel entier de 5 ans, élevage familial

Einstein, un bel entier de 5 ans, élevage familial

C’était ma 25ème Finale des Jeunes Chevaux à Fontainebleau… J’ai commencé très jeune car je suis né dans le milieu. Mon père travaillait comme cavalier pour Jacques Bonnet et il s’est installé à son compte dans la Seine et Marne quand j’avais 3-4 ans. A l’époque, cette région était une région de cheval, comparable à la Normandie d’aujourd’hui. Mon père gérait une grande écurie d’une centaine de chevaux. Il y avait un club, des propriétaires, du commerce… il faisait aussi beaucoup de coaching. Mon père, qui a monté à un très bon niveau, a dû s’arrêter de sauter après un accident à l’âge de 30 ans, mais il a continué à monter et à se perfectionner sur le plat.

Cette année, la finale de Fontainebleau était un peu spéciale – j’avais 7 chevaux, j’étais seul car le groom a eu un empêchement et on a logé mes chevaux à une quinzaine de minutes du site. C’était chaud, j’ai vécu des moments un peu compliqués mais les chevaux ont signé quand même de belles performances et c’est essentiel….

TRAVAIL SUR LE PLAT C’EST NOTRE PHILOSOPHIE DE BASE

Le travail sur le plat encadré par Papa, indispensable....

Le travail sur le plat encadré par Papa, indispensable….

On aime prendre notre temps avec chaque cheval. Ne pas lui mettre la pression, le préparer physiquement et mentalement en respectant son rythme et sauter uniquement quand c’est nécessaire en fonction du cheval. On ne met pas d’enrênement, sauf à la longe pour muscler le dos. L’enrênement est un cache misère et très peu de gens savent s’en servir correctement. Je sais que c’est un peu la tendance d’aujourd’hui, car les chevaux paraissent plus ronds, plus dressés, mais c’est une illusion, un camouflage car une fois l’artifice enlevé, le cheval se met l’encolure à l’envers. Les Allemands qui ont une monte plus physique peuvent s’en servir avec plus de réussite, mais un cavalier comme moi, qui pèse 55 kg, n’a pas le choix – on doit se mettre avec le cheval sans passer par la force.

LE DRESSAGE CE N’EST PAS LE DOMPTAGE

Himalaya, fils de Lauterbach, élevage familial...

Himalaya, fils de Lauterbach, élevage familial…

Avec tous les artifices on a l’air d’être beau et en place… mais cela nous empêche de sentir les choses, les défauts, les faiblesses et aussi les points forts d’un cheval. En tout cas, c’est mon avis. J’aime bien avoir les sensations. La souplesse et l’équilibre ne se voient pas forcément de l’extérieur mais c’est au cavalier d’apporter tout l’entraînement, tous les exercices nécessaires pour que le cheval puisse dérouler un parcours. Il le fera correctement parce qu’il peut le faire, non parce qu’il est obligé et contraint. J’admire les cavaliers américains dont les chevaux paraissent moins en attitude « dressés » mais qui sont parfaitement à l’écoute.

Mon système c’est le cheval avant tout. Je n’aime pas trop le mot « système » d’ailleurs, mais le mien consiste à s’adapter à chaque cheval et de la faire tranquillement, en fonction de ses besoins. Et je ne fais pas de concessions avec ce principe. Si j’estime que le cheval a besoin de repos, qu’on doit le redescendre, ou si, au contraire, il devrait être travaillé plus, je le fais même si, parfois, cette attitude intransigeante m’a porté préjudice. Cette année, à la Finale, j’avais une jument qui ne pouvait pas être performante mais qui pouvait prendre de l’expérience, de la maturité. Cette finale l’a faite grandir. Mais, à l’inverse, si je sens que le cheval n’est pas prêt du tout, qu’il peut se faire peur ou mal, alors je ne le présenterai pas et je ne céderai pas à une pression dans ce sens, même si elle est importante. Je ne sais pas monter contre un cheval car j’ai assez d’expérience pour savoir que si le cheval ne fait pas un concours ce n’est rien, il en fera d’autres, mais s’il fait un mauvais concours, ça peut être la fin. Alors, il faut savoir dire non quand on s’estime et quand on estime son cheval et son métier. Heureusement la plupart des propriétaires me font confiance…

LA PASSION AU QUOTIDIEN

La plus jeune génération...

La plus jeune génération…

Je suis toujours aussi passionné, j’adore notre sport, je peux rester des heures à regarder un beau concours. J’adore la compétition mais il est de plus en plus difficile de pouvoir trouver et garder un bon cheval. Pour s’en sortir il faut acheter plusieurs 2 et 3 ans et, à force, dans le lot on va en trouver un ou deux de qualité. En même temps les frais de valorisation et de concours n’arrêtent pas de monter, les propriétaires doivent donc les vendre assez rapidement, on peut difficilement les attendre, leur donner la chance de se former et d’évoluer à plus long terme. Je me fais plaisir en montant de très bons jeunes chevaux, j’ai du plaisir à les former. J’espère qu’un jour j’arriverai à garder 1 ou 2 bons chevaux pour faire un peu de compétition….

L’INDEPENDANCE A UN PRIX MAIS CA N’A PAS DE PRIX

Quand on aime les animaux...

Quand on aime les animaux…

J’aime bien mon indépendance, j’aime bien être tranquille. Je fais des GP 135-145 en attendant de pouvoir ressauter de plus grosses épreuves, je forme des jeunes chevaux, je fais du commerce. Nous sommes très heureux de pouvoir enfin nous installer dans cette ancienne ferme. Les chevaux y sont très bien, ils peuvent marcher sur les pentes sans avoir l’impression de travailler.

Je cherche toujours de bons chevaux, des investisseurs, de l’aide aussi. Je ne désespère pas de trouver un jour 2-3 bons chevaux pour faire de belles saisons de concours et me faire plaisir. C’est un objectif plutôt raisonnable, je trouve…

Cette année j’avais 5 chevaux de 6 ans et ils ont tous été vendus – un est parti chez Guerda, un en Arabie. Si on cible bien le client et si on joue le jeu en respectant le désir de propriétaire, on les vend plutôt bien. J’aimerais beaucoup trouver des investisseurs pour faire un bout de chemin, mais je ne suis pas trop doué pour cette facette commerciale du métier. Or, elle est de plus en plus importante aujourd’hui. Il faut savoir faire rêver les gens… Avant, les bons cavaliers trouvaient de bons chevaux, maintenant les jeunes fortunés deviennent bons à force d’avoir de top chevaux et la possibilité de courir les plus beaux concours diminue.  J’ai peu chance de me retrouver dans ce « top 50 » et je le vis très bien. Ces concours très étoilés attirent les propriétaires des chevaux et on les comprend mais ça ne doit pas prendre toute la place. Le Global c’est bien, mais les coupes des nations et les championnats qui nous font tous vibrer doivent conserver leur importance. Ce sont les médailles qui restent dans l’histoire ! Sur le Global, les gens tournent en vase clos et sont en train de désintéresser les passionnés. Pas étonnant, ce sont toujours les mêmes cavaliers, les mêmes obstacles, les mêmes concours, il n’y a que la ville ou le continent qui changent. Les gens autour de la piste ne s’y intéressent pas non plus, ils passent juste un bon moment entre eux. C’est bien que ça existe je serais ravi d’y aller si j’avais l’occasion, mais il ne faut pas que ça prenne toute la place.

IL FAUT LA VICTOIRE ET LA MANIERE

Ambiance familiale à la maison et aux écuries...

Ambiance familiale à la maison et aux écuries…

Ce qui compte c’est un équilibre entre la progression du cheval, son respect, la gagne et l’espoir d’être moins mauvais que la veille. J’espère continuer à participer à la Grande Semaine pendant longtemps et continuer à m’améliorer.

Mon premier cheval de cœur c’était Piter, un AA que j’ai monté de 12 à 17 ans. C’était mon premier cheval, il se trouvait dans nos écuries et on l’a racheté un petit prix car son propriétaire a arrêté de le monter. Nous sommes passés ensemble de 110 à 150, en passant par le titre du Vice-Champion d’Europe Juniors. C’était un guerrier incroyable et Il est mort d’une colique. C’était vraiment le cheval de ma vie.  Il y avait aussi Fleur de Carême, une petite jument censée rien faire. Mais elle est arrivée 5ème des 6 ans, classée au Championnat du Monde à Lanaken, gagnante de plusieurs G Prix 150 et vendue à l’ancienne femme de Jan Tops au Canada.

Je n’ai pas gardé de souvenirs marquants d’une victoire particulière, mais plutôt des sensations. Parfois, sur une belle piste, on a l’impression que rien ne peut nous arriver…   Il faut la victoire et la manière. Tous les chevaux ne peuvent pas nous l’apporter. Comme un acteur, on a besoin d’un bon acteur en face pour sublimer la scène, lui donner un parfum inoubliable. Contrairement à ce qu’on dit, ce sont les bons chevaux qui nous font progresser, pas les mauvais. Or, il est difficile de les juger quand ils sont jeunes – j’ai mes petites astuces, je les fais sauter en liberté sans la barre de réglage pour voir leur intelligence. Mais la vraie vérité c’est le terrain… Il y a des chevaux avec des défauts mais qui sont des bêtes de concours. Et il y en a qui sont les champions à la maison, mais en piste il n’y a plus personne – ils sont trop stressés et anesthésiés par l’environnement. Il y en a qui aident le cavalier pour être sans faute et d’autres qui, dès qu’il y a un piège, tombent dedans.  Le mental, l’intelligence, ça ne s’apprend pas. Les chevaux de concours, on les juge en concours.

VOUS AVEZ DU GENIE…

Quand on n'a pas trop d'argent il faut avoir les idées...

Quand on n’a pas trop d’argent il faut avoir les idées…

Les gens pensent souvent que je ne travaille pas beaucoup, mais à tort. Je travaille souvent sous le regard de mon père. Par exemple, à Fontainebleau, le dimanche, j’avais un petit doute avec un cheval. Il m’a regardé, m’a conseillé et je suis arrivé 2ème à la Finale des 6 ans.

Bien sûr je ne vais pas écouter tout le monde mais dans ma jeunesse j’ai été bien guidé par Gilles de Bertrand de Balanda et j’ai eu droit au regard bienveillant de Bosty et d’Edouard Couperie qui étaient mes voisins. Je ne crois pas au miracle – tiens on fait un stage, on change de mors et on va être sans faute. Ce serait trop beau et trop facile. Je crois que ce sont les détails qui font toute la différence et il faut les travailler sans relâche. Pour moi le travail sur le plat est le plus dur à faire tout seul, j’ai donc besoin du regard extérieur.

Je sais monter les chevaux au pied levé, ça ne me dérange pas, mais ce n’est pas ce que je préfère. Le 6 ans qui a terminé 2ème est arrivé dans mes écuries deux semaines avant la finale. Je sais m’adapter très vite au cheval, mais cela m’a porté préjudice dans la vie. Je préfère de loin avoir les chevaux à ma main, à mes boutons. Plus le cheval est dressé, moins il fatigue. Musclé, souple, disponible, à l’écoute mais pas fermé, c’est là qu’il est performant. L’obéissance sans décontraction a peu d’intérêt. C’est ainsi que l’on obtient de la légèreté et c’est important également pour la vente, car aujourd’hui la plupart des cavaliers sont des cavalières et il leur faut des chevaux légers, fins et agréables à monter.

ON PEUT ETRE SERIEUX SANS SE PRENDRE AU SERIEUX

Je suis assez complexe. D’un côté un peu rêveur, un peu artiste, j’oublie facilement mon portefeuille ou mon portable, je me trompe d’hôtel ou mon cheval perd son filet à la remise des prix, mais de l’autre j’ai une rigidité un peu obsessionnelle en ce qui concerne le travail des chevaux, la préparation, les séances qu’ils doivent faire. D’accord, ça ne se voit pas trop. Par exemple à la détente je suis cool, je ne les embête pas trop, ce n’est plus le moment car le travail a bien été fait avant, sinon ça ne pourrait pas marcher.

On peut être sérieux sans se prendre au sérieux et je déteste les gens qui se prennent au sérieux. Car, franchement, on saute des barres, on ne sauve pas des vies ! J’aime bien aussi que le cheval nous ouvre vers d’autres personnes, d’autres horizons. Et avoir de l’humour, de l’autodérision c’est salutaire au quotidien !