VOLTIGE

DAVID AISSA : ON N’A PAS BESOIN DE MILLIARDS POUR CONSTRUIRE SA CARRIERE EQUESTRE

Nous sommes allés à la rencontre de David Aïssa, moniteur, directeur du Centre Equestre d’Ouistreham, éleveur et cavalier professionnel qui vient de gagner la médaille de bronze aux Championnat de France Pro 2 en compagnie de Voltige de Celland. Le cavalier a inauguré récemment un nouveau bâtiment qui accueille ses chevaux de compétition. Le bonheur est à la porte de l’écurie et il est contagieux…

FILS D’UN PECHEUR SUR SON PETIT TROTTEUR

Voltige profite de paddock

Je ne viens pas de milieu équestre ni agricole. Mon père était pêcheur à Ouistreham et ma mère comptable. J’ai débuté à cheval à l’Etrier de la plage chez M. Rube. Vers 12 ans Monsieur Rube m’a dirigé vers les épreuves des cadets – mes parents ont donc acheté Keravec, un petit trotteur chez Jean Pierre Vilaut. Il ne ressemblait à rien, stationné dans ne stalle, mais s’est révélé sensationnel. On s’est donc lancé dans l’aventure … On partait avec mon père, qui, souvent, venait de descendre de son bateau après une nuit en mer, on attelait le van avec mon petit trotteur et on arrivait sur les terrains de concours où on croisait Hubert Pignolet, Cédric Angot… les fils des éleveurs avec leur beaux Selle Français. Comme je ne les connaissais pas je n’avais pas vraiment de pression et je me suis mis à gagner les épreuves au milieu de ce beau monde ! Ils l’ont plutôt mal pris, heureusement mon père parle facilement avec les gens et il est rapidement devenu ami avec les parents de ces jeunes cavaliers. Mon trotteur était tellement incroyable qu’on a fini par le confier à René Lopez qui, à plusieurs reprises, a réussi à battre Eric Navet avec ses meilleurs chevaux ! Il se donnait vraiment à 200% et quand il touchait une barre c’est avec son poitrail, jamais avec ses jambes. Un vrai phénomène ! Mon plus beau souvenir avec lui c’est la 3ème place au derby de la SHUC de Caen, composé de 24 obstacles à 140… de telles épreuves n’existent plus aujourd’hui. Je n’avais alors que 14 ans.

A L’ECOLE CHEZ LES CHENU

Carpediem Z, un pari sur l'avenir

Carpediem Z, un pari sur l’avenir

Comme j’entendais des gens me répéter : « tu ne sais monter que des trotteurs », je voulais leur prouver le contraire, apprendre et m’améliorer. Mon père, qui était devenu ami avec André et Annick Chenu, a joué les intermédiaires et pendant plusieurs années je suis allé passer les vacances scolaires chez eux. Je leur dois beaucoup, ils m’ont vraiment énormément appris au niveau de l’équitation, de la connaissance du cheval, des soins et aussi du commerce. Ils sont devenus comme mes parents adoptifs !  Je rêvais de devenir cavalier professionnel et travailler pour eux, mais mes parents ont entendu parler des jeunes cavaliers qui ont fait faillite en se mettant ainsi à leur compte et m’ont poussé à passer mon monitorat.

MONITEUR ET ENTREPRENEUR

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J’ai écouté mes parents, j’ai passé le monitorat et à 23 ans je suis devenu créateur, gérant et directeur du Centre équestre d’Ouistreham, construit sur une parcelle de terrain cédée par mes parents. Tout a très bien marché et nous nous sommes développés assez rapidement. Aujourd’hui j’emploie 8 personnes dont ma femme qui est monitrice et nous avons une cavalerie de 80 chevaux. J’ai racheté également l’Etrier de la plage qui s’est trouvé à vendre et qui nous sert aujourd’hui de la base de loisir – on peut y débuter à cheval en douceur en faisant des balades à la plage et si on veut progresser par la suite, on va au centre équestre. C’est mon père, salarié, qui m’aide à gérer l’Etrier actuellement.

Mes journées sont bien chargées. La matinée je suis dans mes écuries de sport, l’après-midi je m’occupe de la gestion et de la comptabilité – c’est une tâche parfaitement ingrate mais nécessaire qui doit être exécutée avec une grande rigueur – c’est ma mère qui m’a toujours conseillé dans ce domaine – et le soir je donne les cours à des cavaliers niveau 6 et 7. J’aime beaucoup enseigner, j’adore les enfants et les clients en général, nos chevaux sont aussi adorables, la seule chose vraiment horrible c’est la lourdeur administrative, tous les petits circulaires qui changent sans cesse et les contrôles incessants qui partent de principe qu’on a toujours quelque chose à se reprocher. Nous avons des journées de 12 ou 13 heures et ces contrôles nous épuisent, même si on est rigoureux et en règle – je comprends bien pourquoi les agriculteurs qui peinent à s’en sortir, ne se sortant pas de salaire, donnant tout à leurs bêtes et ne pouvant vraiment pas tenir une gestion rigoureuse, se suicident…

LA PASSION DE L’ELEVAGE OU QUAND LE DESTIN S’EN MELE

Une représentante de  l'élevage de Ouistreham

Une représentante de l’élevage de Ouistreham

Un jour nous avions une propriétaire qui avait du mal à payer les pensions pour sa jument. La jument s’appelait Arrogante Assemont et était issue de l’élevage de M. Rube. Mes parents ont donc décidé de l’acheter pour aider la propriétaire. Et comme dans un concours de l’élevage nous sommes tombés amoureux de Jarnac âgé alors de 4 ans, nous l’avions mis sur Arrogante. Et notre premier poulain c’était une pouliche, Pin Up de Ouistreham qui s’est révélée être une star internationale ! Cédée à 4 ans à Jean-Pierre Vilault, montée et valorisée par David Jobertie, elle a été vendue finalement à l’Ukrainien Alexandre Onyshchenko pour une somme faramineuse ! C’était vraiment une jument extraordinaire qui a sauté au niveau de 5* et j’ai gardé ses trois sœurs : Cadence, Violine et Riva, pour l’élevage de Ouistreham. Par principe, nous les mettons toujours à Jarnac mais quand ça ne marche pas, on a aussi recours à d’autres étalons. Nos poulains se vendent très bien car ils ont tous de la qualité, des moyens et respect rappelant les exploits de Pin Up. Moi-même j’ai sorti Kador de Ouistreham qui a sauté jusqu’à 145, Top Jump de Ouistreham a été également très bien vendu – grâce à toutes ces ventes j’ai pu mettre en place les installations de mon écurie de sport. Nous venons de faire construire un beau bâtiment de 20 boxes couplé avec le manège. La moitié des boxes sont loués par les propriétaires et l’autre moitié accueillent mes chevaux de sport et les poulains pour valorisation.   Aujourd’hui, à 46 ans, je peux enfin vivre mon rêve de cavalier professionnel !

JE VEUX UN CHEVAL QUI M’AIME BIEN ET QUI SE DONNE A 100% POUR ME FAIRE PLAISIR…

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Ma jument de tête c’est Voltige de Celland achetée pour presque rien à la foire à Torigny sur Vire où on allait avec mon père pour acheter les poneys pour le CE. On m’a expliqué que la mère de Voltige était une bonne jument qui a fait les 6 ans en cycle classique mais ils ont dû arrêter car elle ne supportait pas le transport en camion. Voltige est une fille de Paddock du Plessis que j’ai connu chez les Chenu. Elle a du sang de Bourrée, la fameuse jument à la base de leur élevage et elle ressemble aux filles de Bourrée, avec un grand cœur et très généreuse, je pense donc l’utiliser à l’avenir pour notre élevage….

Ses débuts sportifs à 4 et 5 ans ont été très difficiles, trop chaude, anxieuse, pas assez avec moi. A 6 ans je suis redescendu à 1 mètre pour la rassurer et calmer le jeu, du coup à la fin de la saison elle a fait des parcours sans fautes. Mais elle reste toujours assez difficile à gérer en piste – c’est une guerrière qui ne s’arrête jamais, mais une guerrière qu’on ne peut pas soumettre complètement et il faut avoir l’humilité d’accepter ce côté fougueux. Elle me donne beaucoup – elle a gagné récemment trois Grand Prix avant de gagner la médaille de bronze Pro 2 au championnat de France. Je n’ai pas de chance avec ce championnat ! Cela fait trois ans que je vais à Fontainebleau avec Voltige, que j’arrive en finale, je suis bien placé pour gagner et puis, la jument fait tomber une barre ou elle glisse… Cette année aussi j’étais en tête jusqu’au dernier parcours et j’ai fini 3ème. Mais je le gagnerai un jour !  C’est vrai que le championnat c’est un gros effort et je comprends que les cavaliers doivent faire des choix pour les chevaux. Nous on a de la chance d’avoir la mer à côté et ça permet la meilleure récupération possible et un très bon entraînement aussi.

Je raisonne en fait un peu comme un amateur : je cherche un cheval qui m’aime bien et qui se donne pour me faire plaisir.  J’ai eu de la chance : d’abord Keravec, ensuite In the Wind et maintenant Voltige. Pour moi, c’est le plus beau sentiment qui puisse exister : le cheval qui saute pour vous, qui donne tout, se transcende pour vous faire plaisir !

In the Wind Corubert, un fils de Papillon Rouge, a eu plus de 35 000 euros de gains à 135-140 et tout le monde voulait me l’acheter mais on n’a pas voulu le vendre et il a gagné sa retraite à la maison. Enfin, c’était encore un cas…  Je l’ai arrêté à 17 ans car je sentais qu’il baissait le pied et je l’ai mis dans nos beaux herbages avec les poulains. Mais il n’a pas apprécié, a beaucoup maigri et après trois mois je l’ai remis au centre équestre où il a retrouvé vite son petit ventre et sa bonne humeur. Ma femme le montait de temps en temps pour qu’il garde la forme et puis un jour elle l’a sorti en concours et elle, qui n’avais jamais gagné, a emporté plusieurs 120. Elle a arrêté quand même quand il avait 19 ans. Et puis, un jour, à 22 ans, il a remplacé un poney boiteux et il a gagné dans une Club Elite ! Il est encore capable de faire tomber son cavalier ! Quand on pense que quand je l’ai acheté il s’arrêtait… on apprécie d’autant plus le chemin parcouru. Ma plus belle victoire avec lui c’était à Tourgéville, sous la neige, quand j’ai réussi à battre Eric Levallois dans une Pro 2 avec Lagon de l’Abbaye. J’étais très fier de moi ce jour-là !

COMMENT J’AI DECOUVERT TIMON D’AURE…

J’ai quelques capacités à voir les aptitudes chez un jeune cheval, tout comme mon père, car on a été très bien formé chez André Chenu… un exemple, Timon d’Aure que André a acheté grâce à moi ! Je l’ai repéré à 6 ans à Saint-Lô, sous la selle de Paul Meslin. Je l’ai trouvé fantastique et il était proposé à 20 000 euros – je voulais l’acheter. Mais mon père, qui voyait que j’avais une écurie remplie de chevaux que je n’arrivais pas à vendre, a trouvé que ce n’était pas raisonnable et il en a parlé à André Chenu. André a acheté Timon et nous a invité à déjeuner pour nous remercier. La suite, tout le monde connaît.

Cet épisode est resté toutefois gravé comme un regret et quand mon père m’a annoncé qu’il a vu un cheval d’exception qu’il fallait acheter – j’avais alors un budget plus conséquent – je me suis porté acquéreur. Il s’agit de Carpediem EDM Z qui a été champion de France des 5 ans des studbooks étranger avec Paco Diouf – avec tous les parcours sans faute, 23 sur 23, il était exceptionnel ! Il est d’une qualité tellement rare que je trouve dommage de le garder pour moi. Il a la capacité de faire les 5*. Kevin Staut l’aime bien, on le prépare tranquillement pour pouvoir le confier à Kevin dans l’avenir. Ce sera aussi mon bonheur de le voir briller dans des concours les plus étoilés !

LE COMMERCE AU SERVICE DU CLIENT

Il est important de vendre les chevaux pour vivre et pouvoir évoluer. Mais, d’après moi, il est aussi important que le client soit heureux, il faut donc que le cheval soit adapté au futur propriétaire, et le prix aussi. Client heureux ramène d’autres clients et j’aime beaucoup recevoir de bons retours. C’est très gratifiant. Le meilleur exemple c’est cette histoire qui m’est arrivée avec une famille polonaise. Ils ont payé un stage auprès de Pénélope pour leur fille de 13 ans. Mais comme la jeune cavalière n’avait pas le niveau pour monter les chevaux de 5*, Pénélope me l’a envoyée, je lui ai donné les cours particuliers et elle a bien progressé. Ses parents sont venus quelques mois après pour acheter un cheval de notre élevage. La jeune fille était très amoureuse de sa jument, elle a beaucoup gagné, c’était le bonheur. Malheureusement la jument a attrapé un virus mortel et la jeune fille est tombée en dépression. Après un an, quand elle a finalement exprimé de nouveau envie d’avoir un cheval, ses parents m’ont appelé et m’ont acheté une autre jument sans la voir (Elite de Ouistreham, la sœur de Chrichna Ouistreham), juste parce qu’ils me faisaient confiance. J’étais très touché et le couple a l’air de fonctionner très bien – à 5 ans elle saute des parcours à 125.

ON N’A PAS BESOIN DE MILLIARDS POUR CONSTRUIRE SON BONHEUR EQUESTRE

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Pour moi, les plus belles histoires sont celles d’Eric Navet, Eric Levallois ou Gilles Bertrand de Balanda, les cavaliers qui sont allés au plus haut avec des chevaux de l’élevage familial. Le sport d’aujourd’hui qui a besoin des investisseurs qui achètent les chevaux tout prêts et hors de prix pour sauter 4* ou 5* ne me fait pas rêver. Mon plaisir c’est de faire naître un cheval, le débuter et l’amener le plus loin possible. Je vis actuellement une très belle histoire avec Voltige, on me dit qu’elle pourra sauter 145-150, je vais donc essayer quelques 145 pour voir si elle peut passer le cap. J’ai beaucoup d’espoir avec les jeunes chevaux de notre élevage. Aujourd’hui,  je suis un directeur de centre équestre, un éleveur, un cavalier parfaitement heureux !