La gentillesse, le sourire, l’efficacité à cheval et la droiture dans la vie – tous les Normands connaissent Alexis qui fréquente depuis plus de 20 ans les terrains des concours régionaux, nationaux et, pas assez souvent, internationaux. Installé depuis vingt ans dans la même commune, entouré de la famille, il vit au rythme de ses chevaux et se dit un homme heureux. Nous l’avons rencontré le lundi 23 juin après un concours à Deauville où il s’est placé troisième avec Reine d’Isigny et avant mercredi 25 juin, le jour où il est arrivé quatrième avec Sherie Star – en tant que premier Français – pendant la première épreuve du « Test Event » des Jeux Equestres Mondiaux au stade Michel d’Ornano à Caen.
Je monte à cheval depuis 35 ans car j’ai commencé avec les poneys. Mes parents ont été cavaliers amateurs j’ai donc fréquenté les chevaux pratiquement depuis ma naissance. J’ai arrêté les études très rapidement vers 17 ans pour en faire mon métier alors que j’étais plutôt doué à l’école – j’avais un an d’avance. Ma mère était franchement contre cette décision, évidemment. J’ai fait mes premières classes dans la famille des éleveurs Leredde – d’abord chez Fernand, le père, et ensuite chez son fils Xavier. Au Haras des Rouge j’ai eu la possibilité de monter énormément de bon chevaux, souvent très jeunes, ça m’a vraiment permis de comprendre l’essence du métier. Ensuite, en 1995, j’ai passé un an chez Jean-Paul Lepetit, éleveur et chef de piste reconnu, où j’ai sorti les chevaux en concours. Après cette expérience, donc finalement assez rapidement, j’ai décidé de m’installer. Au début il y avait 5 boxes ici, dans ce hameau La Butte dans la commune de Saint Samson de Bonfosse proche de Saint Lô. Aujourd’hui nous avons vingt boxes, une belle carrière, un marcheur, il y a quatre paddocks sécurisés et bientôt on va construire un manège. Le manège devient une nécessité avec les saisons de concours qui s’allongent. Tout cela s’est fait progressivement – actuellement j’ai un employé, ma femme travaille avec moi et j’ai quelques prestataires de services. Nous sommes une petite entreprise normande.
Jean d’Orgeix, je l’ai rencontré en 2001 grâce à des propriétaires qui se sont cotisés pour m’offrir son coaching. Il m’a donc suivi sur les concours. Cet homme a été un grand théoricien et précurseur absolument en avance sur son temps. La méthode qu’il prônait – par exemple développer le galop avant de remettre en équilibre pour aborder le saut – est devenue une évidence, mais à l’époque en France personne ne la prenait au sérieux. D’après Ludger Beerbaum Jean d’Orgeix est l’un des meilleurs théoriciens du cheval au monde et il s’étonne pourquoi les Français ne l’écoutent pas plus.
Le premier cheval qui a marqué ma vie et ma carrière c’est Cincaba Rouge que j’ai travaillé et sorti en concours à partir de ses 6 ans. Ensuite il est parti pour Thierry Rozier, revenu en 2000 et avec qui j’ai eu de grands classement en Grand Prix au niveau international et national : 8ème du GP à Modena(Italie) chez Pavarotti, 7ème du Grand Prix à Gijon(Espagne), 3ème et 10ème du GP 5* de Cannes, 3ème à la Baule…, 10 victoires en Grand Prix Nationaux et 2*, 5ème du Championnat de France 2000. Aujourd’hui il profite de sa retraite bien méritée chez ses propriétaires M et Mme Bizot. Bien sûr, on me connait surtout par rapport à Helios de la Cour II avec qui j’ai gagné deux fois le Championnat de France Pro Elite en 2011 et 2012 et j’ai pu participer dans de beaux concours internationaux comme La Baule ou Saint Gall. Helios a eu un destin qui pourrait inspirer les scénaristes du cinéma. Il est « l’enfant unique » de Sissi de la Cour qui a participé aux CSI avec Eric Navet. Son propriétaire a toujours privilégié sa carrière d’étalon, Helios pratiquait donc la carrière sportive en dilettante – je le montais deux ou trois fois par semaine quand il arrivait ici avec son propriétaire. Sa vie a été marquée par une série d’accidents qu’il a toujours surmonté grâce un mental de fer. Tout d’abord, à trois ans, de graves coliques, ensuite un arbre qui s’abat sur son box pendant la tempête et à huit ans il a la mâchoire fracassée par un étalon voisin de box. Enfin il est victime d’un accident de paddock et les vétérinaires le disent bon pour la retraite. Pourtant il revient pour devenir un double Champion de France. Si ce n’est pas une vie de cinéma… Il profite maintenant de sa retraite.
Après j’ai eu plusieurs bons chevaux qui ont été vendus, notamment à Athina Onassis et Eugénie Angot, aussi bien pour le Mexique que le Brésil. C’est la vie d’un cavalier, il faut toujours avoir en tête que les chevaux que nous préparons et que nous sortons en concours peuvent être vendus et faire en sorte pour avoir en réserve une relève. Actuellement j’ai la chance d’avoir des chevaux – locomotives pour les Grand Prix. Ramouncho de Gree, fils de Sandro Boy de 9 ans peut sauter les parcours à 1,50 – 1,60m, il est courageux et veut toujours bien faire. Il a été 6ème au Grand Prix de Touquet à 1,55m et a gagné le GP à 1,45m à Cabourg. Il a eu un petit souci de santé au CSI de Franconville et il est tellement franc qu’il aurait pu continuer, mais j’ai arrêté le tour quand j’ai vu qu’il avait un problème. Il est au repos pendant trois semaines, mais va revenir très vite. Les voici en action…
Oliday d’Ira est un fils de Kannan et c’est un étalon un peu facétieux – capable de gagner 1,50-1,60 quand il le veut! La proche relève c’est Sherie Star, une fille de Diamant de Semilly qui est une bonne jument volontaire actuellement à l’aise à 1,40-1,45m et qui peut réserver de bonnes surprises et Reine d’Isigny, fille de For Pleasure, avec des moyens, très douée mais avec un dos assez sensible… Photo: Avec Oliday d’Ira…
J’ai toujours travaillé en gardant une bonne entente avec les propriétaires. La communication et l’échange, c’est essentiel. On m’emmène un cheval et je vais essayer de le rendre le plus compétitif possible. Il faut bien mettre au clair les attentes des propriétaires dès le départ, et suivre ensuite l’évolution de la situation. Et il faut le dire si le cheval ne peut pas correspondre aux attentes. Moi je tiens à faire des mises au point tous les trois mois. Car avec les chevaux on ne sait jamais. Sur trois qui arrivent, on dit par exemple qu’un d’eux est moyen, le deuxième semble bon et le troisième c’est un super crack et après trois mois le moyen se révèle bon, le bon exceptionnel et le crack ne fait plus rien. Donc, la communication cavalier-propriétaires autour des chevaux est très importante. Photo: Remise des prix à Deauville avec Reine d’Isigny
Non, je ne suis pas un artiste dans le sens où on parle de l’art équestre… Delaveau c’est un artiste, Bosty, Whitaker, Pénélope qui a le don de concentration sur le cheval absolument unique. Moi je n’ai pas vraiment cette intuition, je dois toujours beaucoup répéter. Bien sûr je rêve de grandes et belles épreuves internationales mais je n’ai pas de moyens de payer une table avec une entrée sur la piste de Global Champions Tour à 40 000 euros ni mener la vie d’un cavalier Top 30. C’est un autre métier – il faut être à la hauteur au niveau équestre, avoir des moyens très importants, des équipes et être prêt à vivre sur les valises. Et aussi comment peut-on être artiste quand on doit être en même temps un gestionnaire d’entreprise, un préparateur des chevaux, un psychologue pour les chevaux et pour les propriétaires ? Impossible.
Au quotidien on avance grâce à la passion du cheval mais aussi par la passion de la compétition – il est parfois difficile de se motiver pour une petite épreuve sous la pluie, mais il le faut. Regardez les Whitaker, toujours aussi motivés, dans un petit concours à la campagne ou dans une grande épreuve. C’est la force des Anglais – avoir la rage de gagner tout en gardant la flegme et la froideur pour ne pas perturber le cheval. Patrice Delaveau est aussi comme ça. Car la compétition est un exercice délicat : il faut rester humble, Orgeix disait le plus animalier possible, respecter le cheval et ne pas le déstabiliser, voir griller. Mais en même temps si on le respecte trop, si on n’a pas le ego qui pousse vers la gagne, on ne gagnera jamais. C’est le paradoxe d’un cavalier des concours et il faut savoir le gérer.
Entre 18-20 ans j’ai passé presque un an dans le plâtre, cassé de partout. Les vertèbres, les jambes, la main – ce n’était pas facile pour moi et encore moins pour ma famille, mais je n’ai pas abandonné et je suis toujours là. Les moments les plus forts de ma carrière sont liés bien sûr au double titre du Champion de France Pro Elite avec Hélios de la Cour. J’aimerais bien sûr gagner encore quelques titres et quelques belles épreuves internationales – cela me touche quand on réclame pour moi une place dans l’équipe de France.