Jubilée d’Ouilly, dix-sept ans, probablement la meilleure jument Selle Français de la décennie, qui a su porter tous ses cavaliers vers les premières places des plus grands concours internationaux, vient de prendre sa retraite. Discrètement, sans adieux plein d’émotion sous les projecteurs d’un grand concours. Elle entre tout doucement dans la légende, en profitant des prairies de sa maison natale à Ouilly du Houley dans le Calvados. Nous sommes allés la voir et recueillir les souvenirs de sa naisseuse, propriétaire et « gestionnaire de carrière » Alexandra Lebon, qui a toujours suivi sa « Jub », réparé ses problèmes de santé – Alexandra est vétérinaire spécialisée dans les techniques douces de manipulation équine – et demeure «la plus grande fan» de la jument. Photo: Jubilée à l’herbe « made in Normandie »
A l’origine de Jubilée, et aussi de Helios, Isis, Kronos et Lesbos d’Ouilly est leur mère, Gardenia. J’ai été frappée par cette jument Hanovrienne, belle, grande, noire, avec une très belle présence, montée par un magnifique cavalier espagnol Juan Carlos Garcia Trevijano, qui a gagné le Grand Prix de Lisbonne. Quelques années plus tard, en 1994, j’étais alors une jeune vétérinaire, chargée de prélever Jalisco B au Haras du Lieu Plaisant. Je cherchais une poulinière pour tenir compagnie à la mienne et pour démarrer, doucement, un élevage. Une amie m’a parlé alors de Gipsy Lady (nom de scène sportif de Gardenia) qui était à vendre, abandonnée par le cavalier qui est parti aux Etats Unis, en la laissant en Belgique. La jument était alors dans un très mauvais état, maigre, souffrant d’emphysème. J’ai hésité et demandé conseil à un ami, spécialiste de la génétique. Il m’a dit : une fille de Graphit, on l’achète d’abord et on réfléchit ensuite. C’était vraiment le conseil qui change une vie.Photo: Gardenia
Je voulais mettre Gardenia à Jalisco B, qui est mort deux jours plus tard. Du coup, j’ai choisi Palestro II et ainsi est né Hélios, qui a été vendu à un cavalier amateur. Ensuite est née Isis (par Narcos II), mère d’Osiris – par Quick Star, 12 ans aujourd’hui, qui a fait des parcours sensationnels aux CSI 5* 2013 à Rotterdam avec Laura Kraut. Jubilée est la troisième de la fratrie, après Gardenia donnera encore Kronos – étalon par Uzelien qui a eu un parcours sportif exceptionnel, d’abord avec Michel Robert avec qui il a été sacré, en 2009, le Meilleur Etalon SF -8eme ranking Rolex devant Sandro Boy notamment – et avec Gregory Whatelet avec qui il a été classé de nouveau Meilleur Etalon SF de l’année 2012. Lesbos est la née la dernière par Le Tot de Semilly. Photo: Kronos et Alexandra Lebon
Pour la naissance de Jubilée, je voulais « fiancer » Gardenia avec Galoubet qui était alors aux Etats Unis, mais l’avion Concorde avec la semence n’a pas décolé à cause d’une tempête de neige (!), du coup, comme je n’ai pas voulu rater une ovulation, j’ai utilisé la semence de Palestro II en pratiquant un transfert d’embryon. C’est ainsi qu’est née la pouliche… le 1er avril 1997, nous pouvons donc fêter ensemble son 17ème anniversaire! La pouliche avait un regard profond et intelligent de son père, mais elle ne semblait pas particulièrement taillée pour les performances sportives – les fesses sèches, la taille moyenne (166 cm), un dos long. Au concours modèles et allures organisé à Caen, où elle a été présentée à 3 ans, elle est d’ailleurs arrivée dernière au grand dam de Xavier Richard, l’organisateur. Jubilée n’a pas les plus gros moyens de monde, mais elle a un cœur énorme, une grande intelligence et une générosité sans limites, elle veut toujours donner le meilleur d’elle-même et même plus. Photo: Jubilée d’Ouilly, 1 jour
Avec son premier cavalier, Aymeric de Ponnat, elle a gagné 11 premières places sur 21 tours en 4 ans, 17 premières places sur 24 en 5 ans et finit première de la première épreuve de qualification à la Grande Semaine de l’élevage de Fontainebleau à 6 ans. A 10 ans, elle a remporté les Grands Prix d’Eindhoven et d’Hisckstead.
Avec Pénélope Leprévost, en 2009, elle a totalisé 7 sans faute sur 9 tours en Coupe des Nations – dont le barrage de Rotterdam. Elle a été double sans faute dans la Coupe des Nations à Rome et à Aix la Chapelle (juillet 2009).
Beaucoup d’efforts intenses et répétés ont provoqué, inévitablement, des problèmes de santé. Elle a eu une sciatique mal diagnostiquée qui a demandé une longue convalescence en la privant de championnats d’Europe en août 2009. Jubilée est revenue à la maison pour être soignée – nous avons profité de l’aide inestimable du docteur Pierre Pradier et notre fille, Héloïse, s’est occupée de sa rééducation, en douceur, dans les bois et à la plage de Deauville. Je pensais à la possibilité de mettre la jument à la retraite sportive et puis….
Et puis, nous avons rencontré Trevor Coyle, cavalier Irlandais installé à Bruxelles et nous lui avons confié Jubilée en décembre 2010. Il n’avait pas d’objectif sportif très ambitieux, il a pris le temps de reconstruire la jument, la préparer, la remettre aux épreuves de plus en plus difficiles tout doucement – cela a marché si bien qu’à la fin de l’année 2012 Jubilée affichera le meilleur ISO de sa carrière et du Stud Book Selle Français en terminant par la superbe victoire du Grand Prix 5*de Gijon. (sur la photo) Malheureusement, Trevor a eu un accident assez sérieux et je me suis de nouveau posée la question de retraite de la jument. Mais là, c’est Trevor qui m’a dit que ce serait vraiment dommage, que la jument est prête pour les concours les plus prestigieux, qu’elle est en pleine forme…
C’est ainsi qu’en novembre 2012 Jubilée s’est retrouvée chez l’Américaine Laura Kraut. Avec pas mal de réussite, une fois encore, car elle ne fait jamais les choses à moitié. Elle a partagé avec Cédric, le cheval appartenant à la cavalière, l’ambition de porter Laura pendant les étapes de Global Champions Tour – elle a pris une belle deuxième place à Madrid le 5 mai 2013, derrière Michael Whitaker, en faisant le tour le plus rapide. Au final, Laura Kraut se retrouve troisième du ranking du Longines Global Champions Tour 2013 – derrière Scott Brash et Christian Ahlman. Photos: GCT à Madrid et GP à Aix La Chapelle 2013 avec Laura Kraut
Nous avons décidé d’arrêter sa carrière sportive à haut niveau quand Jub s’est arrêtée devant un obstacle, c’était de nouveau un signe de problème de santé. Elle a donc quitté la Floride, pris l’avion, est arrivée à la maison, je l’ai manipulée, j’ai remis en pace le bassin qui était bloqué – je connais déjà pas mal ces fragilités – elle est de nouveau en forme et prête à rebondir.
Nous allons maintenant privilégier sa carrière de maman – elle a déjà eu 3 poulains par transfert d’embryons : un mâle de Stenthor, une femelle de Lando et juillet dernier est née une pouliche de Calvaro. Elle va maintenant profiter des herbages et retrouver les concours uniquement pour se faire plaisir et pour faire plaisir à ma fille.
Jubilée est actuellement la championne la plus connue de l’élevage d’Ouilly car elle revenue récemment sous les projecteurs des grands concours, mais nous avons également des jeunes chevaux qui peuvent créer des bonnes surprises à l’avenir. Nous sommes associés avec Grégory Whatelet, cavalier belge, mon compatriote. Chaque année, il vient choisir à l’élevage les 6 ans qui pourrait lui convenir et qu’il destine au plus haut niveau de compétition. Shou d’Ouilly, 8 ans, fille d’Osiris d’Ouilly par Calvaro est l’une de ses jeunes favorites, avec les aptitudes à l’obstacle vraiment étonnantes. Tefnut d’Ouilly, une autre fille d’Osiris est à la formation chez Jonathan Tirard. Qeops d’Ouilly, un fils de Kronos, mène une belle carrière aux Etats Unis sous le nom de Punch.
Il est encore trop tôt pour parler de la qualité des poulains de Jubilée mais j’ose espérer, vu la qualité de la famille, qu’ils vont nous réserver de belles émotions sportives. Pour un élevage relativement récent, nous avons des résultats plutôt encourageant grâce à cette formidable souche, Gardenia alias Gipsy Lady par Graphit, qui nous a quitté trop tôt, pleine de Quick Star.
Toutes ces années m’ont apprises que l‘essentiel pour un éleveur de chevaux de sport ce n’est pas la recherche de la performance à tout prix, c’est la construction et l’harmonie d’un couple cheval-cavalier. Rien n’est plus beau que d’admirer une entente mutuelle, basée sur un respect mutuel. Et si en plus de cette harmonie il y a des résultats sportifs, alors là, tout le monde est très heureux, y compris le cheval.
En quittant Alexandra et son Haras d’Ouilly, je suis allée rendre visite à la belle championne, que j’ai eu le bonheur d’admirer sous la selle de Laura Kraut au Gucci Masters cet hiver à Paris. Elle était là, au milieu d’un grand herbage. Je me suis approchée de la clôture munie d’une carotte. Elle m’a regardée, fait quelques pas dans ma direction, puis elle s’est arrêtée comme pour dire : « Je suppose que c’est moi que tu viens voir, mais c’est à quel sujet ? » J’ai ouvert la voiture pour sortir mon appareil photo et là, ô surprise, la jument est venue vers moi sans hésiter, habituée à être aimée des photographes. Une vraie star, et une vraie fille, aussi…