Perrine Carlier, une jeune cavalière de dressage performant à haut niveau, ne fait rien comme tout le monde. Installée dans un paradis équestre près de Pont l’Evêque, elle construit sa pratique équestre autour de l’écoute et du bien-être du cheval. Une rencontre très positive…
UNE JEUNE FILLE PASSIONNEE
Mon père a été un passionné de trotteurs, il faisait un peu d’élevage et je le suivais partout. Il m’a communiqué cette passion qui ne m’a pas quittée depuis. J’ai vraiment commencé à monter à 12 ans et j’ai eu la chance de tomber sur une super monitrice qui m’a appris le respect du cheval. Mais je ne pensais pas en faire mon métier. Je voulais devenir vétérinaire, aider et soigner les animaux. Suite à une prépa à Paris, j’ai abandonné cette voie et je me suis engagée dans la pratique équestre. Le travail pour le compte d’un cavalier de CSO m’a bien plu et je suis allée par la suite me perfectionner en dressage. Discipline que je n’ai alors plus quittée !
Ma façon de travailler a séduit quelques propriétaires qui m’ont confié leurs chevaux et j’ai créé mon écurie de compétition en 2006 au Touquet. Depuis, j’ai eu la chance de suivre l’enseignement de grands cavaliers de dressage comme Monica Théodorescu, Dominique Flamant, Jan Bemelmans, Françoise Kloninger ou Jan Nivelle. Je suis classée 15ème du classement national permanent des cavaliers Pro Elite.
L’AVENTURE NORMANDE
Je suis arrivée dans la région en 2010 en suivant Vincent Mairesse qui est venu s’installer à Deauville Saint Gatien. C’est vraiment une région de cheval où on retrouve les plus grands professionnels, ce qui est très stimulant et très pratique aussi… A la même période, j’ai rencontré des propriétaires qui sont devenus des amis et qui ont voulu m’aider à m’installer. Notre projet au départ était modeste, je cherchais 1 ha de terrain pour pouvoir y installer une écurie. Mais c’était très difficile à trouver, dès qu’il y avait un peu de terrain, il y avait aussi une maison qui coûtait une fortune. Finalement, à la place d’un seul hectare, on m’a proposé 15 ha de terres agricoles ! Mes super associés ont été séduits et ont décidé de l’acheter. Et nous nous sommes lancés dans la conception et la préparation du projet. J’ai conçu les plans en m’inspirant du modèle allemand où le côté pratique est toujours prédominant. Le manège est grand et lumineux, les écuries se trouvent dans le même bâtiment, ainsi que les selleries, les salles de soins et même le bureau. Ce système permet en hiver d’évoluer sans s’exposer aux intempéries ! A l‘extérieur, on a une grande carrière de dressage, les paddocks d’été et d’hiver et une piste qui permet de faire le tour de la propriété sans la quitter ! Je me rends compte que je suis dans une situation privilégiée qui profite aussi bien à mes chevaux qu’à mes propriétaires.
ABSENCE DE PRESSION COMMERCIALE : UN VRAI LUXE
Mes associés sont des gens généreux qui ont voulu construire un projet pour pouvoir évoluer ensemble sans pression commerciale. C’est une chance énorme pour une cavalière comme moi et c’est une chance que je cultive. Je travaille avec des propriétaires passionnés qui veulent progresser avec leur cheval ou bien j’ai des chevaux confiés pour la valorisation à long terme, dans le but de performance sportive et non pas de prestation commerciale rapide, notamment pour les jeunes chevaux de 4, 5, 6 ans qui viennent ici en formation. J’accepte aussi des chevaux en dépôt vente, et dans ce cas, je cherche vraiment à bien assortir le cheval et le futur cavalier.
IL FAUT ARRETER D’AVOIR PEUR !
J’essaie de rendre mes chevaux heureux. Le confinement m’a d’ailleurs inspiré une petite « révolution ». Avec mon maréchal, nous avons eu l’idée de les déferrer, et ainsi, j’ai pu envisager de les mettre au paddock par deux, leur permettant de retrouver un peu de vie sociale, tellement importante pour leur bien-être. J’ai demandé l’accord des propriétaires qui étaient tous partants pour cette nouvelle expérience. Pourtant pas évident pour un cheval ferré depuis des années de se retrouver pieds nus et cela prend du temps pour qu’ils retrouvent un nouvel équilibre. Il y a aussi le risque de blessures. On a donc surveillé les nouveaux « couples ». Il y avait ceux qui se sont acceptés après les premières présentations d’usage et les autres qui ne s’aimaient pas du tout : il a fallu gérer rapidement les affinités. On a bien réussi, sans problème majeur, alors que ces chevaux vivaient seuls depuis des années ! Il y a eu quelques blessures superficielles et ce n’était pas bien grave par rapport au bénéfice. Le cheval est fait pour aller dehors, pour marcher, pour vivre à plusieurs. Avec le système sportif, on a un peu dénaturé et surprotégé les chevaux, moi la première. En les mettant dans des boxes ou paddocks isolés, on les empêche d’avoir des relations sociales entre eux qui sont essentielles à leur équilibre et épanouissement. Ce sont mes peurs qui me gouvernaient à ce moment-là et j’ai décidé de revenir à des pratiques plus simples et naturelles pour eux sans oublier l’objectif sportif. Je suis persuadée que le sport de haut niveau peut se pratiquer avec des chevaux déferrés qui vont ensemble au paddock. De plus en plus d’écuries s’y sont mises en France et cela existe depuis un moment à l’étranger. Je suis persuadée que le bien-être du cheval est bénéfique pour le sport.
JE PROGRESSE EN FONCTION DU CHEVAL
Gracieux Vh Lindenhof, mon cheval de tête, est arrivé ici à 6 ans avec sa propriétaire qui l’a acheté pour elle, pour se faire plaisir. Mais il s’est révélé un peu compliqué, pas facile à monter, ombrageux et il lui arrivait toujours des problèmes. On a fini par se dire que ce n’est pas possible qu’un cheval aussi gentil à pied ait des réactions aussi démesurées sous la selle. Nous avons donc cherché la gêne possible et cette recherche a pris du temps pour connaître les personnes capables de trouver l’origine du problème. On a soigné son estomac, ses pieds et on a gagné sa confiance. Et plus il s’améliorait physiquement, plus il progressait au travail en démontrant de vraies capacités que je ne soupçonnais pas au départ – pour arriver au niveau du GP à 10 ans.
J’estime qu’il faut vraiment savoir écouter les jeunes chevaux et progresser en fonction de leur capacité physique. Il y a des moments dans leur croissance où ils sont mal dans leur corps et nous, si on a un concours ou une échéance à respecter absolument, on va solliciter les muscles et les articulations et les faire travailler dans la douleur. Cela aura, forcément, des répercussions au niveau physique ou psychique dans le temps. Adapter cette biomécanique si subtile à un circuit est un vrai challenge. Je l’ai compris en faisant moi-même des erreurs. Désormais, je pars de la base cheval, non de la base circuit et je m’entoure des gens qui pensent comme moi pour amener dans les meilleures conditions les chevaux vers leur objectif.
PARLE A SON INTELLIGENCE…
Un grand moment avec Gracieux, je l’ai vécu pendant le stage avec Jan Nivelle. On était au niveau St Georges et on voulait avancer vers le Pro 1. Il m’a dit : « Ton cheval est hyper intelligent, parle à son intelligence. » Du coup, plutôt que de répéter, répéter et mécaniser, je lui suggérais…. Il réussissait deux pas de piaffer, je le félicitais comme s’il avait gagné la coupe du monde ! Il voulait alors refaire les choses parce que cela me faisait tellement plaisir ! Et on a progressé comme ça, en confiance. Je me suis retrouvée avec un cheval complice qui forme une équipe avec moi ! Je ne dois pas le porter, on est en interaction ensemble : si je cafouille, il rattrape et si c’est lui qui se trompe, je suis là pour l’aider. Ce sont des sensations incroyables, les sensations d’un vrai couple ! Il m’a aussi révélé – à travers la technique de la communication animale – mon manque d’assurance en concours. Le cheval l’a ressenti et m’a forcée à prendre confiance et à moins craindre le jugement extérieur. « Les chevaux sont des révélateurs de l’âme » a dit quelqu’un un jour…
LE DRESSAGE, POUR UNE EVOLUTION DANS LE SENS DU CHEVAL
Le dressage manque un peu de popularité en France. Il est souvent associé à quelque chose de laborieux autant pour le cheval que pour le cavalier. Alors que l’objectif de cette discipline est tout le contraire.
Je sais bien que le dressage n’a pas toujours une bonne image. Il faut bien admettre des abus mais je veux croire à l’évolution positive de cette belle discipline. Il y a des signes positifs : la réglementation de serrage de la muserolle, la bride non obligatoire pour les épreuves préparatoires pour les GP (toujours obligatoire dans les GP, hélas). L’exemple des Anglais, Charlotte Dujardin, Carl Hester qui nous proposent une belle équitation, nous ont fait beaucoup de bien! On peut vraiment travailler cette discipline dans le respect du cheval, j’essaie de le démontrer en apportant ma petite graine à cette évolution positive. Le cheval, qui est stressé sous la selle au cours du travail à la maison, sera d’autant plus stressé en concours. En revanche, celui qui fait confiance à son cavalier, va stresser au début, mais le lien de confiance qu’il a avec son cavalier va l’aider à gérer son stress. Mais gagner la confiance de son cheval n’est pas si simple ! Il faudrait commencer dès le niveau amateur, en partant du cheval et non pas de l’exercice que l’on veut obtenir ! Si l’exercice est difficile à réaliser alors qu’on a l’impression de le demander correctement, il faut essayer de comprendre pourquoi l’animal ne peut pas y répondre. Si on l’y oblige par la force, on va travailler dans la douleur et détruire la confiance. C’est très triste car les chevaux sont tellement généreux, toujours prêts à donner et à pardonner nos erreurs. On use et on abuse de leur générosité.
Il faut aussi admettre que tous les chevaux ne peuvent pas toujours répondre à nos attentes. En dressage, on regarde les allures magnifiques des chevaux, mais parfois ils ne sont pas capables d’apprendre les exercices d’une certaine complexité. Si quelqu’un m’avait dit au début que Gracieux deviendrait mon cheval de tête, je ne l’aurais pas cru, alors que le cheval, en qui je croyais très fort, est devenu aujourd’hui un super cheval d’instruction qui fait plaisir à tous les cavaliers à qui je le confie. Beaucoup de chevaux se déclenchent à 7 ans. Une chose est sûre, quand on veut forcer les choses, souvent ça casse !
SOYONS FOUS, SOYONS HEUREUX….
Mon objectif d’avenir est de faire du haut niveau, d’enseigner et de montrer que l’on peut faire du beau dressage ! Ce que je préfère, ce sont des leçons qui se terminent avec un cavalier et un cheval satisfaits tous les deux… Le couple fonctionne bien quand les deux vont bien, donc il est important que le cavalier fasse également attention à sa santé et à son corps. Tout dysfonctionnement humain se répercute souvent immédiatement sur la monture.
Depuis quelques années déjà, je travaille avec des professionnels de la communication animale. C’est vraiment génial pour quelqu’un qui cherche à comprendre l’animal et à calmer ses angoisses. Par exemple, pour le confinement, on a expliqué aux chevaux que les propriétaires ne pouvaient pas venir mais ne les abandonnaient pas. C’était important, car leurs relations sont souvent très fortes et une séparation forcée crée des tensions pour tous les deux. Une autre fois, j’ai eu un problème avec mon entier qui s’arrêtait et restait bloqué pendant la séance sans raison apparente. J’ai appelé la communicatrice qui m’a dit qu’il s’était fait mal au paddock la veille. J’ai évité ainsi une séance stressante et douloureuse et un conflit qui aurait pu détruire une relation de confiance. On pourra dire que je suis un peu « illuminée » mais ça ne me dérange pas. Je préfère être illuminée avec les chevaux heureux que raisonnable avec les chevaux malheureux.